fredericgrolleau.com


Naho Mizuki, "Matsuo Bashô. Le maître du haïku"

Publié le 26 Mars 2017, 10:03am

Catégories : #BD

Naho Mizuki, "Matsuo Bashô. Le maître du haïku"

L’étroit chemin du fond

De facture classique sur la forme, si on laisse de côté les pages 11 à 22 pertinemment traitées en couleur pour mettre en exergue une certaine rupture, ce manga de Naho Mizuki traduit en français - et qui  se lit de façon occidentale de gauche à droite, notons-le - présente le poète pèlerin Matsuo Bashô (1644-1694) tenu pour le plus grand poète japonais.
Maître reconnu du haïku, c’est lui qui initia cette forme minimaliste de poésie  qui, en seulement trois vers, s’attache à dépeindre l’essence et l’impermanence de la nature. Voir p. 86 : "Le vieil étang / Une grenouille s'y jette / Doux clapotis."

Ainsi, de son enfance dans une famille de modestes samouraïs à ses voyages fusionnels avec la nature et en passant par l’enseignement du haikaï - genre poétique raffiné très en vogue parmi les samouraïs et marchands itinérants de l’ère Edo (1603-1868) - à la fois reçu et dispensé dans les plus grandes écoles de poésie du pays du Soleil-levant, on voit comment, par un continuel processus de dénuement et de dépouillement, le jeune Kinsaku, qui s’appellera bientôt Jinshichirô et plus officiellement Matsuo Munefusa, va devenir - ainsi surnommé par ses disciples - Bashô (Bananier), par référence au détachement bouddhique que celui-ci incarne et à la protection qu’offrent ses larges feuilles lacérées par le vent.
Inventant une poésie nouvelle car dégagée des traditions faisant autorité et plus fulgurante, Bashô propose le genre soigneusement codifié du "haïku" qui deviendra l’expression reine de l’art poétique japonais.

Vivant en osmose avec la nature et parfois en ermite, Bashô se consacre progressivement à la seule poésie, qu’il enseigne à un cercle de fervents disciples, puis à la méditation zen tout en parcourant sans cesse le Japon, lui qui sait sans pareille  « se fondre avec le vent et les nuages », ne faire plus qu’un avec la réalité invisible et éternelle et décrire à merveille la richesse et l’intime beauté du monde. Il rédige alors de nombreux carnets de voyage en prose parsemés de haïkus. En 1687, ce “sage du haïku” (haisei) se rend ainsi au sanctuaire shintô de Kashima pour y voir la lune des moissons, parcourir les monts Yoshino, réputés pour l’abondance et la beauté de leurs cerisiers, et marcher sur les traces du moine Saigyô (794-1192), son modèle spirituel.
Deux ans plus tard, il entreprend avec Kawaï Sora, l’un de ses élèves et ami, un long périple dans les provinces du nord de 2400 kms dont il tirera son chef-d’œuvre, L’étroit chemin du fond (qu'Alain Walter traduit en : La sente étroite du bout-du-monde ), qui marie avec dextérité prose et poésie.

Oeuvre en apparence dédiée à la jeunesse et aux béotiens, ce Matsuo Bashô. Le maître du haïku surprend par sa qualité et sa précision pédagogique. Le contenant graphique est certes aussi dépouillé que le contenant sémantique qu'il  entend servir, ce qui n'empêche pas les éditions Hozhoni d'avoir conçu un véritable écrin à dos carré avec une introduction, une présentation des personnages du manga, un abondant appareil de notes au fil des pages et en en annexe un ouvrage d’initiation, comportant une présentation détaillée de la technique du haïku (18 pages), de l’époque de Bashô, de ses compagnons et de sa descendance poétique, le tout serti dans de jolies pages rouges, entre la 1ère et la 4ème de couverture,  faisant bien ressentir par contraste la pureté quasi virginale du maître du haïku.
La dernière partie de l'ouvrage notamment parvient bien à faire entendre en quoi celui qui est imprégné de méditation bouddhique considère de plus en plus le voyage comme une progression sans fin vers l’inapparent. Une position philosophique qui n'est pas sans rappeler, quand bien même aux antipodes pour maintes raisons, l'importance du cheminement, de l'errance, la beauté du Simple et du "chemin de campagne" et des "sentiers qui ne mènent nulle part" (Holzwege) dans la pensée de Martin Heidegger. Il y a même là, entre l'auteur d'Etre et Temps et le bouddhisme, une sorte de filiation étonnante qui mériterait d'être frayée à nouveaux frais.

Lunes et soleils,
miroirs des mois et jours, sont
les hôtes de passage de cent générations,
comme les années qui se succèdent.
Celui qui toute sa vie,
se balance sur un bateau,
celui qui tient au mors un cheval
et va ainsi au-devant de la vieillesse,
les jours étant le voyage,
du voyage fait sa demeure.
(La sente étroite du bout-du-monde)

frederic grolleau

Naho Mizuki, Matsuo Bashô. Le maître du haïku, éd. Hozhoni, mars 2017, 128 p. - 16,00 €.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article