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« Pourquoi nous trompons-nous ? » (dissertation)

Publié le 23 Novembre 2016, 10:41am

Catégories : #Philo (textes - corrigés), #Dissertations d'élèves

« Pourquoi nous trompons-nous ? » (dissertation)

Proposition de traitement par Anastasia Giollo, Lycée Albert Ier de Monaco, TS3, novembre 2016.

 

Tromper, un mot polysémique qui reste difficile à définir. Il existe la tromperie entre hommes et femmes au sein d’une relation ; la mauvaise compréhension d’une demande entraînant une réponse incohérente comme lors d’examens où l’on ne saisit pas l’enjeu de l’énoncé, nous nous trompons et cela entraîne un hors-sujet. Enfin, un autre sens de tromper est se mentir à soi-même, persister à croire comme vraie une réalité erronée ou encore se limiter à quelque chose dont la certitude reste à prouver. Si je peux dire « je me suis trompée », c’est que j’ai eu conscience sur le moment des faits ou à postériori, que j’ai fait une erreur. Ainsi, cela nous amène à penser pourquoi, nous, êtres conscients de nos actes, nous trompons-nous ? Notre inconscient dominerait-il notre conscience au point de la rendre elle-même inconsciente ? Serait-ce notre certitude d’être, au sens strict, qui nous sauverait de la noyade de la tromperie ? Sommes-nous inconsciemment sous le conditionnement d’une instance trompeuse qui en aurait pleinement conscience ?

Pour cela, nous verrons que si nous nous trompons, il y a des limites à notre propre tromperie dues à une connaissance approximative de nous ; pour enfin se demander si nous ne subissons pas l’influence voire le conditionnement d’une instance qui serait la société qui souhaiterait nous maintenir dans un schéma de tromperie.

 

 

Tout d’abord, notre vie est une alternance entre des moments où nous aurions la capacité à nous saisir nous -mêmes et à nous penser et des périodes où notre inconscient, c’est-à-dire une chose qui ferait que le sujet ne soit plus maître de lui-même, nous assujettit. Ainsi, durant cette transition entre conscience et inconscience, ne serions-nous pas dans un état intermédiaire, un état où nul ne serait notre maître mais où nous ne serions nos propres maîtres ? Notre vie psychique est constituée de comportements que nous faisons alors que nous ne sommes plus capables de nous saisir nous-mêmes. Ainsi, nous nous trompons, ou du moins notre inconscient nous trompe et nous amène à faire des actes manqués, c’est-à-dire que nous agissons d’une manière alors que nous voulons agir de la façon contraire. Cela reviendrait à dire que notre inconscient serait là pour nous tromper ; mais si cet inconscient est là, c’est qu’explication à sa présence existe. En effet, nous sommes des êtres soumis à des forces oppressives ainsi qu’à la censure. D’après la représentation topique mise en place par Freud entre 1920 et 1921, notre uberich ou surmoi serait la loi ultime du Père et contiendrait tous les interdits sociaux. Lors de notre période infantile, entre 3 et 5 ans, nous sommes régis par le désir et le plaisir, c’est-à-dire la satisfaction obtenue lorsque le désir se réalise dans la réalité. Pour autant, face à la censure qu’est notre société, ne sommes-nous point dans le conditionnement de refouler nos désirs ? Notre désir refoulé mais en aucun cas annihilé referait surface à des moments de notre vie inattendus. Ainsi, nous serions trompés durant la période où nous refoulons notre nous.  Durant cette période, nous refoulerions notre nous en le trompant par des pseudo-réalités. Notre liberté d’être et donc de penser serait donc censurée depuis notre enfance. Ne serions-nous ainsi sujet que lorsque ce désir refait surface et ressuscite notre nous ?

            Bien que « je » me trompe le « je » a une certaine authenticité. Je ne suis pas dans la capacité de me tromper d’être. En effet, chaque jour il y a une partie de mon être qui se réveille et qui fait que je sais que je suis en partie la même qu’hier. Je n’ai pas à apprendre chaque jour, le matin quand je me lève qui est ma famille, comment je m’appelle. Cette certaine temporalité de « moi » peut être trompeuse mais ne l’est pas entièrement. Cette partie identique qui fait que je ne doute point d’être est la mémoire. Par exemple dans l’œuvre cinématographique Remember Sunday, le sujet doit chaque jour réapprendre qui il est ; ce qui n’est pas notre cas. Ainsi, cela rejoint la thèse de John Locke dans son Essai sur l’entendement humain : « c’est la mémoire qui nous sauve ». Une mémoire qui permet de relier quelques parties de mon « moi » quotidien en un « moi » qui dure jusqu’à ma mort. Je peux ainsi me tromper sur qui je suis mais je ne peux me tromper sur une chose : j’existe. Peu importe si j’oublie, j’existe car j’ai une mémoire.

          Mais, si j’existe avec une mémoire, rien ne me dit que cette mémoire elle-même est certaine. En effet, je peux avoir une mémoire, me rappeler de gestes et paroles, mais cette mémoire peut être défaillante. Ainsi, notre mémoire ne serait-elle uniquement basée sur des illusions ou absorberait-elle un mélange entre illusions, c’est-à-dire ce que l’on croit voir et qui s’avère être une fausse réalité, et réalité ? Je ne peux douter de l’existence de la mémoire mais je peux douter de son fonctionnement. Cette mémoire peut me jouer des tours mais peut retranscrire ainsi la réalité. Cependant, une fonction de la mémoire prouvée par les scientifiques est que notre mémoire utilise des éléments de notre réalité et les façonne de manière à nous faire voir une pseudo-réalité ; c’est par exemple le cas des rêves nocturnes, déformant certains aspects de la réalité. Ainsi notre mémoire pourrait, elle aussi, nous tromper. Une partie d’un être tromperait ce même être.

           

Pour autant, on ne peut nous tromper d’être nous, comme le dit Descartes dans son célèbre « Cogito Ergo Sum » soit je pense donc je suis En effet, il y aurait une unité de notre être qui permettrait à notre « je » de se penser tout en pensant et ainsi être capable de dire « moi ». Comme l’explique la méthode cartésienne, et notamment dans l’œuvre Méditations Métaphysiques, il y aurait un malin génie qui nous tromperait depuis toujours et ainsi lorsque nous remettons en doute nos propres doutes, ces doutes s’avèreraient être une ruse de ce malin génie pour nous pousser à nous tromper. Descartes en ayant compris qu’il y avait cet « être » trompeur a pu en déduire que nous pouvons douter de tout sauf que nous pensons et donc sommes et donc nous existons. Trompons-nous ce malin génie en ayant compris que c’est un être du doute ou est-ce lui qui nous trompe en nous amenant à cette conclusion ? Pour autant, à douter de tout, notre être se perd et nous amène à nous tromper.

            Cependant, bien que cette méthode paraisse acceptable au niveau de l’explication, l’existence de ce malin génie ne peut être prouvée concrètement. Ainsi, nous ne considérerions comme réalité que quelque chose de conjecturé. Ne serions-nous donc que des êtres se limitant à un présupposé, pensé, comme son étymologie le dit, trop rapidement ? Cela reviendrait à dire que l’Homme philosophe doté d’une conscience réflexive et morale se limiterait à quelque chose de suffisant, convenable et non certain ? On ne peut dire cela car n’importe quel Homme réfléchissant et pensant cherche l’explication et non une explication. De plus, comme le pense le père Gassendi, « le doute de Descartes est un faux doute ». Ainsi, l’unité du moi « validée » par l’hypothèse cartésienne ne peut être valide du fait qu’elle nous amène à nous tromper nous-même en croyant l’existence d’un être in absentia et irréel.

            Cela nous amène à penser que nous pouvons tromper nous, sujets, à cause de notre acte spontané de nous penser en croyant pouvoir dire « moi ». En effet, lorsque « je » me pense, « je » est le cogitatum, c’est-à-dire l’objet de pensée, de « me », c’est-à-dire mon être, ma pensée, mon cogito. Ainsi, je serais l’objet de ma pensée. Un objet, c’est-à-dire quelque chose privé de conscience, proviendrait ainsi de moi. Puis-je être donc considéré encore sujet puisqu’une partie de moi, la partie pensée est un objet alors que le pensant reste un être doté de conscience réfléchie et morale ? En me considérant, en me pensant, « je » priverait son autre « je » des attributs de sujet. Ainsi, pour ne pas se tromper, il faudrait considérer une unité des « je". Faudrait-il alors ne plus se penser pour pouvoir ainsi me considérer comme sujet ? Or, ce qui caractérise un sujet est quelqu’un qui est soumis à une instance mais qui a la capacité de dire « je » et de se penser tout en pensant en disant « moi ». Ainsi, que dois-je choisir ? Me penser tout en me pensant au risque d’être partiellement objet de « je » ou ne pas me penser pour pouvoir unifier les « je » au risque de ne plus penser ? Dans tous les cas, je m’amènerais donc à me tromper moi-même en devenant objet qu’un demi-être contrôle ou devenant un Homme dépouillé de ce qui le différencie des autres êtres vivants : la pensée.

 

            Cependant, Rimbaud, dans ses Lettres du Voyant, a dit « on ne devrait pas dire je pense mais ça me pense. Pardon du jeu de mots ; je est un autre ». Si ce « je est un autre » cela reviendrait à se demander si, lorsque je me trompe moi-même, cela serait en réalité quelque chose, un certain « ça » qui nous est familier qui nous trompe. « Je » serait ainsi hors de cause et ne serait plus libre de se tromper lui-même ; il serait soumis à une instance externe qui le trompe tout au long qu’elle le conditionne et le maintien dans ce mensonge. L’Homme deviendrait-il une excuse c’est-à-dire quelque chose qui pense et est « ex causa » soit en dehors de cause, pour justifier la tromperie de cette instance ? Ainsi, pourquoi cherchons-nous à justifier notre liberté et notre capacité à penser si ce n’est pour essayer d’échapper à une réalité où nous serions soumis à quelque chose qui nous trompe et dont nous ne pourrions-nous défaire ?

            Bien que nous existions, cette instance nous conditionne et nous amène à croire que nous nous trompons alors qu’elle nous trompe : c’est la société. En effet, cette société qui nous régit a été mise en valeur par Karl Marx, un philosophe et économiste, qui pense que nous ne sommes que les individus que la société dans laquelle nous vivons veut que l’on soit. Ainsi notre culture et notre consommation nous détermineraient et nous penserions faire des propres choix sans savoir que ces choix proviennent de notre société qui nous conditionne et nous amène en nous façonnant à la décision de ces choix. De plus, la représentation topique de Freud de 1920 encadre le « ich » (« moi ») entre le « es » (« ça ») et le « uberich » (« surmoi ») ; il y aurait donc chaque individu noyé sous quelque chose d’externe à lui, une société. Cette idée est reprise dans la célèbre phrase de Freud « wo es war soll, ich werden » (« là où le ça était, le moi doit en devenir »). Ce « es » constituerait ainsi le fondement de chaque être, où chaque moi serait désormais capable de prospérer individuellement.

            Ainsi ne serions-nous comme le dit Hegel, que des êtres de la représentation ? Ou encore comme le dit Ernest Cassirer « des êtres symbolicum » capables de rendre présent quelque chose in absentia ? Que représenterais-je donc ? Suis-je le reflet de ce quelque chose externe à nous, le reflet de la société ? Cela rejoindrait les pensées de Nietzsche dans son œuvre Le gai savoir, qui considère la conscience, et donc le savoir qui s’accompagne de lui-même, comme un phénomène collectif. Cela reviendrait à dire que nous aurions tous quelque chose d’interne à nous et non biologique en commun. Serions-nous la Construction de la société, édifiés sur des fondements trompés et miroirs de l’allégorie de sa pensée ? Notre identité, c’est-à-dire cet élément qui persiste au cours du temps malgré nos changements, serait-il alors le reflet de la société qui demeurerait en nous et évoluant dans cette société nous ferait croire à une fausse évolution ? Cela reviendrait donc à considérer que nous ne sommes que des êtres de l’imitation et non de la réflexion ce qui serait une régression de l’Homme en tous points.

 

 

            Pour autant, si je peux me tromper moi-même, quelle qu’en soit la cause, puis-je vraiment être certaine de ce qui me pousse à me tromper ? Serait-ce une forme pour nous de prendre conscience de quelque chose ? Enfin, en me trompant, je ne suis que maître de moi partiellement. Ainsi, puis-je encore dire que liberté il y a malgré ma tromperie ? Ou fais-je face à une soumission dont je ne peux me libérer et qui me procure l’illusion d’être libre alors que je ne le serai en fait jamais ?

 

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