Argot de cité, néologismes, verlan, onomatopées, mots étrangers… Les textes codifiés des rappeurs de PNL (1) déstabilisent les auditeurs novices comme les médias généralistes en quête d'une grille de lecture. Le duo composé des frères Ademo et N.O.S entretient le mystère en n'accordant aucune interview, assurant sa propre communication, sans maison de disques. Dans son deuxième album intitulé Le Monde Chico, déjà certifié disque d'or, le groupe originaire de Corbeil-Essonnes superpose plusieurs registres sémantiques. Ce mélange des genres est « révélateur des usages linguistiques dans les banlieues », affirme Bettina Ghio, docteure en langue et littérature française.
Parlez-vous le PNL ?
L'enseignante dans le secondaire, chercheuse à l'université Paris 3, est l'auteure d'un ouvrage à paraître (1) qui démontre que les paroles des principaux acteurs de la scène rap hexagonale sont bien plus riches en références littéraires qu'on ne le pense. Idem pour le champ lexical, souvent pléthorique. Booba aussi lettré que Benjamin Biolay ? Après tout, un Américain a bien prouvé que le collectif new-yorkais Wu-Tang Clan avait plus de vocabulaire que Shakespeare. On imagine déjà les défenseurs de la chanson française froncer les sourcils.
Bettina Ghio s'est donc penchée sur le cas PNL, en disséquant quatre clips de la révélation du rap indé, dont le succès se chiffre en millions de vues sur YouTube. Verdict : si les thèmes abordés n'ont rien d'original (trafic de drogues, esprit de clan, misère sociale…), on constate que les lascars du 91 s'affranchissent des codes du rap de cité traditionnel dominé par la trap, la musculation et les palmarès de gangsters. Voix robotiques, tempo au ralenti, couplets introspectifs, images lêchées… Sur un air de fumette, PNL plante le décor d'un rap planant (cloud rap en VO) comme pour adoucir le quotidien. Derrière ces paroles crues, les MCs des Tarterêts racontent leur vie dans les quartiers défavorisés, entre culpabilité du deal et envie d'évasion. Vous ne comprenez rien au langage Peace N Lovès ? Décryptage.
“Le monde ou rien”
Thèmes : trafic de drogues, esprit de clan, solidarité avec la famille.
Plusieurs morceaux de PNL évoquent la « bicrave » (le trafic de drogues, en argot de cité) qui est envisagée comme la seule issue du jeune de banlieue face au chômage. Un thème largement exploré dans le rap français. S'il n’a rien d’original, PNL l'exploite pour installer une esthétique.
Champ lexical
PNL utilise le vocabulaire du deal : « taga » (hachisch), le shit « bulle » (excellent), « traces » (lignes), « bon-char » (verlan de charbon synonyme de travail). Sans oublier « vé-Her » (Hervé), leur client le plus fidèle, également cité dans le morceau La petite voix.
Le style PNL se caractérise par des phrases minimalistes et un vocabulaire codé de cité (« igo » pour mec, « mif » pour famille, « bacqueux » pour agent de la BAC) déclamé à l'aide de l'auto-tune, un logiciel correcteur de voix qui permet de chanter juste à travers une voix robotique.
Figures de style
Antanaclase, reprise d'un même mot avec un sens différent (« J'suis dans ma bulle » / « le shit bulle ») ; paronomase, utiliser deux mots au son proche mais dont le sens est différent (« bulle » et « boule ») ; métonymie, désigner un objet ou une idée par un autre terme que celui qui convient (« sang sur le pull ») ; antithèse (« oh shit ton mal, mon bien »).
Références
Le choix de tourner le clip dans la cité mal famée de La Scampia à Naples, qui sert de décor au roman Gomorra de Roberto Saviano sur la mafia napolitaine, n'est pas anodin. L’image de la mafia incarne au mieux l'idée de clan, avec des gros plans sur les tours, les escaliers, la dalle de la cité et les jeunes de tout âge. Le titre et certaines répliques du morceau renvoient par ailleurs à Tony Montana et au Scarface de Brian de Palma : « Le monde, chico… et tout ce qu’il y a dedans ».
Epilogue
Critique sociale de la situation précaire des populations qui peuplent les banlieues. L'absence de travail formel, le chômage qui génère l’ennui : « je tourne en rond ». L’économie parallèle comme seule option, pour faire survivre ses proches : « la famille a faim », « tout pour les miens », « que la famille ». La cité est un enfer.
“J’suis PNL”
Thèmes : trafic de drogues, évasion, virilité, emprisonnement.
Pour PNL, le deal est un moyen de « se barrer », de s'évader de la cité. Dans ce clip, les rappeurs profitent des plages de Benidorm, la station balnéaire espagnole tout en béton, « paradis » du binge drinking.
Champ lexical
L’esthétique du morceau illustre le langage codé du deal et de la consommation de drogues : « tirer des barres » (de cannabis) comme le montre la gestuelle du clip, « cliquos » (des clients), « dos » (partager un joint ou une cigarette), « plaquettes », « ma pocket » (l’argent dans la poche), « j'la bute sur le soleil » (vendre de la drogue en Espagne), « j’maille » (gagner de l’argent, en général de façon illégale). D’autres rimes jouent avec des sons dans des registres de langues différents : « Khey » (pluriel de Kho, frère en arabe) / « soleil » ; « Mexico » / « chicots » ; « amigo » / « mytho ».
Figures de style
Antithèse, « il me faut la black card, il me faut la white widow » ; répétition des syllabes pour créer un effet d'allitération, « tê-tê-tête ».
Références
Le « Rompompompompom » emprunté au Man Down de Rihanna, renvoie au standard de Noël américain, Little Drummer Boy, qui évoque les cadeaux apportés par les Rois Mages à l'enfant Jésus. PNL a simplement remplacé les cadeaux par… la drogue. : « C’est d’la bonne hein sa mère ».
Epilogue
Ce mélange de mots étrangers (arabe, espagnol, anglais) se mêlant au langage familier, à l'argot de cité et aux termes inventés (« guccisé » pour être habillé en Gucci) est révélateur de la multiplicité des usages linguistiques dans les banlieues.
La masculinité est rattachée à l’image de l'homme « dur », du caïd, dans son rapport avec les femmes, qui est en même temps reliée à celle de la prison : « Et puis si j'ai parlu avec toi, pétasse / J'fais 500 pompes avant, les bravas gonflés », paraphrase de Booba : « j’ai parloir avec une femme / je fais 200 pompes quand il faut y aller », dans Maître Yoda, 2012.
“Oh Lala”
Thèmes : introspection, contemplation, routine.
On voit dans le clip un paysage islandais qui est l’antithèse de l'environnement habituel des rappeurs de cité.
Champ lexical
Le lexique rend compte de sentiments très personnels : « je suis dans un merdier / dans un cul de sac », « je souffre » ou « j’ai pas de chance », « merlich » (c’est pas grave en arabe) / « je suis seul dans ma planète », « dans ma galère », « l’temps passe », « Hamdoullah » (merci dieu en arabe), « je vois le soleil se l’ver, se coucher », « la lune, la lune » : ceci fait penser à la contemplation rêveuse du poète.
Vocabulaire du deal, « biff » (argent), « faire des ronds », « la pure », « le four » est l’endroit où se concentre la vente de drogue « 'zeille » (argent), « zitounes » (olives en arabe, ici du shit), « bibi » (bicraver), avec des énoncés qui renforcent la portée lyrique : « C'est sale quand j'vends la came / Mais bon, croyez pas qu'j'kiffe, des remords quand j'suis à table ».
Figures de style
Oxymore, « on aime voir l’ombre briller » ; paronomase, « baba, j’bibi en bas » ; allitérations, « to-to-totalement pété / « ta cons’ cons’ cons’ » ; antithèse, « J'me défonce pour me rappeler/ J'me défonce pour oublier » ; asyndète, suppression des particules de coordination dans l'ordre grammatical, « (car j’ai) des remords… ».
Epilogue
Ce morceau est purement lyrique. Bâti à partir de la locution « oh la la » qui sert à exprimer l’étonnement, la stupéfaction, l’enthousiasme, mais aussi la déception. Les mots manquent pour exprimer ce que l’on ressent face à l’indicible, ici la beauté et l’immensité d’un paysage.
“Tempête”
Thèmes : lyrisme sur le temps qui passe, autocritique, ennui.
Ce morceau joue avec le traitement d’un sujet collectif, entre le besoin de dealer pour faire face au chômage, et le lyrisme, car le trafic illicite est perçu comme une contrainte et une condamnation individuelle. Le thème du temps qui passe est relié ici à l’ennui de la cité, au manque d’activité régulière : « J’suis tous les jours sur le grill pendant qu’mon étoile défile / Rien d’exceptionnel, ça recommence y’a R ».
Champ lexical
Toujours le lexique de la drogue : « ient-ient » (client), « le vert » (cannabis) « rotter » (pour Rotterdam, plaque tournante du trafic en Europe), « chnouf » (héroïne ou cocaïne). Et de la prison : « arrivants », « allumettes », « la matonne », « Fleury » (pour la prison de Fleury-Mérogis).
Figures de style
Métaphore, « mon cœur une tirelire toujours en manque de billets ».
Références
PNL s'inspire-t-il d'une citation de Voltaire ? La phrase « Caresse du temps qui passe pour m’adoucir » évoque « le temps adoucit tout » extrait de L’Ingénu. Il n’est pas rare de trouver la trace de textes littéraires traditionnellement étudiés à l’école, dans les textes de rap français.
Epilogue
Les termes et expressions lyriques renvoient au sentiment de culpabilité, à la condamnation de devoir dealer, « changer d’vie maintenant, igo c’est pas possible / j’peux pas m’endormir sans demander pardon ». Il y a aussi l’idée que la vie actuelle résulte de l’origine sociale, de la misère liée à l’enfance : « grandir à poil », du désir de posséder le monde, quand on n’a rien, « le M sur la tétine ».
source :
http://www.telerama.fr/musique/une-prof-de-francais-examine-les-paroles-de-pnl,139231.php
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