"Je me moque de ce qu'on appelle la véritable histoire de l'Ouest, rendue avec les yeux des Blancs." (A. Penn)
Synopsis
Jack Crabb a 121 ans et raconte son histoire à un journaliste venu enregistrer son témoignage à l'hôpital. Il prétend être l’unique survivant de la bataille de Little Big Horn où les troupes du général Custer furent massacrées par les Indiens.
En 1860, Jack est un garçon d'une dizaine d'années. Avec ses parents, il part à la conquête de l'Ouest mais leur convoi est attaqué par les Indiens. Devenu orphelin, il est recueilli, éduqué et protégé par "Grand Father", le chef d'une tribu Cheyenne, qui le surnomme Little Big Man. Il partage alors la vie et la culture de sa nouvelle famille jusqu'au jour où les Cheyennes sont décimés et où il échappe de justesse à la mort. Jack est ensuite recueilli par un pasteur et sa femme, laquelle est loin d'être un modèle de probité. A vingt-cinq ans, marchand puis tueur professionnel, il rencontre le célèbre Hickok et comprend que le métier de tueur n'est pas fait pour lui.
A l'instar du titre du film, et comme le dit si bien celui du fasicule qui accompagne le dvd,"Penser la spontanéité", cet anti-western qu'est Little Big Man (sous-titré en France Les Extravagantes aventures d’un visage pâle) s'emploie à rapprocher les contraires et à les transmuer en un précepte majeur. Le mythe fondateur de la conquête de l'Ouest et la confrontation entre Indiens et Blancs n'échappe pas à la règle. Que les personnes en présence soient réduites au rôle de simples personnages (qui ne s'appartiennent donc pas) , c'est d'abord ce que montre le fait qu'il faille pour le narrateur plus que centenaire « éclairer » un journaliste qui se fourvoie sur le sens de cette mythologie. Que ce soit le récit inhérent à l'écrit ou à l'écran, seule cette version-là prévaudra quand on cherche la vérité, ce qui en dit long sur tous les oubliés de l'histoire...
De fait, si la vie de Jack Crabb mérite d'être narrée, c'est d'abord parce qu'elle fait place nette sur bon nombre de préjugés quant aux héros de la nation américaine. Pour ne pas dire quant aux hommes (au sens générique) tout court, confondus ici par leur petitesse morale, leur hypocrisie et leur fourberie. La famille Pendrake qui recueille ce Bon sauvage sur lequel péroraient les philosophes du XVIII° siècle est tout sauf au clair avec les désirs qui la hantent, le marchand d'élixir Merryweather – qui part littéralement en morceaux pour l'énormité de ses péchés – est un voleur chevronné, les retrouvailles avec la soeur de Jack qui l'initie au maniement du revolver aboutit au même gâchis : rencontré en chemin, Wild Bill Hickock, expert entre tous de la gâchette, finira abattu par un gamin. Quant au général Custer, qui sert de fil rouge au récit, sa mégalomanie et sa démence qui flirtent en permanence avec la fatuité, achèvent de présenter un bien sombre portrait des hommes blancs. Un peu comme si, nous dit Arthur Penn, ils n'avaient rien compris au film.
Les Indiens, s’ils n’échappent pas à la charge (non celle de la cavalerie custerienne à Washita mais du cinéaste) semblent mieux traités, Penn faisant entendre qu’ils sont bien ce qu’ils proclament être, à savoir des « êtres humains » tels que l'énoncent les Cheyennes qui recueillent Crabb dans un premier temps avant qu’il ne soit « récupéré » par les Blancs. Si certains d’entre eux, devenus alcooliques, n’hésitent pas à prostituer leurs femmes pour quelque boisson forte, la plupart (exceptés « l'heemanah » (entendez l'homosexuel) et le « contraire » aux moeurs singulières) incarne une forme de sagesse tellurique et souveraine, ancrée à même la force de la vie, à l’image de Peau de la Vieille Hutte qui guide Little Big Man sur la voie de la vertu et de a constance.
Cette recherche de l'harmonie et d'une vie qui serait, bec et ongles, conformément au célèbre vœu stoïcien, en parfaite « conformité avec la nature » n'est jamais contrecarrée que par les Blancs, que l'on voit massacrer les villages indiens – sans autre raison objective que l'appât du gain - dès qu'ils en ont l'occasion. L'ultime razzia qui clôt le film renvoie à l'attaque en 1868 d'un camp cheyenne au bord de la rivère Washita par le 7e de cavalerie commandé par le colonel Custer : cette séquence impitoyable au son du joyeux air de "Garry Owen" permet au spectateur de prendre la mesure d'un Crabb mi-Indien mi-Blanc, et mis ici au pied du mur de ses propres contradictions culturelles et identitaires lors même qu'il assiste, impuissant, à la mort de sa femme Rayon de Soleil.
« La démarche du film, pose Arthur Penn (Entretien, 1971), a consisté, en démythifiant un chapitre clé de l’Histoire de l’ouest et donc des Etats-Unis, à amener le spectateur à regarder avec suspicion tous les autres chapitres de cette histoire. Il est évident qu’à travers Custer, c’est le mythe de l’Amérique même qui est représenté, le mythe de la conquête de l’Ouest justifiée comme répondant à la destinée, au devoir de l’homme blanc. Et si la réplique de Custer après l’un de ses exploits sanglants («L’histoire confirmera la grandeur et la beauté morale de notre action») s’est avérée longtemps exacte, c’est tout simplement parce que cette Histoire a été écrite par les hommes blancs qui avaient bénéficiés de ladite action ! »
Le constat de Penn dans cette épopée tragi-comique est accablant : de part en part, l'opposition des deux civilisations ne peut mener qu'à l'extermination de l'une au profit de l'annexion sans limites de l'autre : la pureté indienne en accord (de manière autant jusquauboutiste qu'utopiste) avec les lois universelles du Cosmos se trouve ainsi balayée par la corruption blanche porteuse uniquement de la destruction et de la néantisation de l'Autre. A chacun de comprendre que l'esprit expansionniste est à vrai dire le seul responsable du génocide indien. Il convient certes de tempérer ce constat tragique et sans concession avec l'humour constant qui traverse le film tout du long : les tribulations picaresques et grotesques de J. Crabb montrent à quel point il n'est pas la dupe des apparences et qu'il saura , avec le recul, tirer profit de son initiation au monde blanc prétendu civilisé (comme en témoigne la séquence de la rencontre de Limonade Kid et de Bill Hickok ).
"Plutôt qu'un western, déclarait Arthur Penn, Little Big Man serait un film sur la guerre de colonisation, un film qui se situerait non sur une frontière géographique mais sur des limites mouvantes d'une nation avant tout commerçante. Jack Crabb est moins un personnage de western qu'un visiteur de l'Ouest, un individu qui est entre deux cultures et qui, quoi qu'il arrive, essaie de vivre à l'endroit où il se trouve. Jack Crabb est quelqu'un qui passe toujours à côté des choses, qui reste à l'écart des événements définitifs. Il faut remarquer que toute son histoire part de l'affirmation suivante : je suis le seul survivant blanc de la bataille de Little Big Horn, alors que nous savons, nous, qu'il n'y en eut aucun."
CQFD. En adaptant avec maestria le roman de Thomas Berger, Mémoires d'un Visage pâle, Arthur Penn se joue de la tradition du western dont il démonte un à un tous les codes en démontrant le caractère de "guerre coloniale" de la conquête de l'Ouest. Sorti en pleine guerre du Vietnam, Little Big Man a été vu comme un film traitant indirectement de cette actualité. Le comportement du Général Custer (tueur belliciste de service contrastant ô combien avec le discours pacifiste de Peau de la Vieille Hutte) et de ses troupes lors de la bataille de Little Big Horn en 1876 a été mis en parallèle avec l'engagement contesté des Américains au Vietnam un siècle plus tard. « Custer fit massacrer les habitants d'un village comme nous massacrons les habitants des villages vietnamiens » déclare Arthur Penn.
En repensant à nouveaux frais la réelle Histoire des Indiens, Little Big Man, indéniablement œuvre à la fois contestataire, violente et humaniste, montre les limites de la politique étrangère américaine depuis 1945. Une Amérique – bien incapable de respecter ses propres valeurs comme l'atteste le cas critique de l'érotomane Mme Pendrake - qui ne cessera jamais, peut-on penser, d'être aux aux prises avec sa propre violence.
Foin de tout idéalisme décati et en pied de nez aux bien-pensants, « Voilà toute l'histoire des êtres humains à qui on avait promis des terres où ils pourraient vivre en paix, qui seraient à eux tant que l'herbe y pousserait, tant que le vent soufflerait et que le ciel serait bleu. » peut conclure la voix-off du vieillard Jack Crabb, ce Candide au Far West, à la fin de l'interview qu'il vient de concéder.
frederic grolleau
Little Big Man
États-Unis
- 1970
Réalisation : Arthur Penn
Scénario : Calder Willingham
d'après : le roman Little Big Man, Mémoires d’un visage pâle
de : Thomas Berger
Imag e: Harry Stradling Jr
Décors : Dean Tavoularis
Montag e: Dede Allen
Musique : John Hammond Jr
Producteur(s): Stuart Millar
Production: Cinema Center Films, Stockbridge-Hiller Productions
Interprétation: Dustin Hoffman (Jack Crabb), Faye Dunaway (Mrs Pendrake), Chief Dan George (Peau de Vieille Hutte), Richard Mulligan (Général Custer), Kelly Jean Peters (Olga Crabb), Martin Balsam (Mr Merriweather), Jeff Corey (Hickock)
Distributeur cinéam et éditeur DVD : Carlotta Films
Date de sortie : 20 juillet 2016
Durée : 2h19
Commenter cet article