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Bernard Edelman, "Essai sur la vie assassinée. Petite histoire de l'immortalité"

Publié le 6 Octobre 2016, 17:19pm

Catégories : #ESSAIS

Bernard Edelman, "Essai sur la vie assassinée. Petite histoire de l'immortalité"

L' (in)humanité 2.0

La question posée par ce court mais dense essai de Bernard Edelman traverse, à juste titre, toute l'histoire des représentations et de la philosophie : à l'heure du tout technologique et des flux d'information devenus la réalité même, comment conférer encore un sens à la vie du sujet ? Les progrès en cours en matière de biologie appliquée et de nanotechnologie n'invitent-ils pas à penser l'abandon du corps, de la matérialité physique, des désirs qui leur sont corrélés et l'entrée sans coup férir dans une humanité 2.0 (désormais pensée en capacité de stockage de data) qui ne serait rien d'autre, foin de toute ontologisme suranné, qu'une immortalité en phase avec la réalité virtuelle dernier cri ?
Assez longue, ce qui ne veut pas dire qu'elle est fastidieuse, la question reçoit une réponse qui l'est tout autant sous la plume pluridisciplinaire de Bernard Edelman. Car si trois auteurs de référence sont rapidement mobilisés – Rousseau, Kant, Sade – pour faire front à (ou constater) l'insoutenable, l'auteur sait puiser à d'autres eaux afin d'alimenter sa réflexion diachronique et conceptuelle : le poète Baudelaire, les romanciers Houellebecq avec La possibilité d'une île (pour l'épilogue) ou Borgès (Fictions), le rôle de la mémoire rappelé via Derrida et le Pharmakon de Platon, et de manière plus substantielle des experts en biologie, en neurobiologie ou en psychologie cognitive (on peut citer parmi d'autres Ollivier Dyens, Raymond Kurtweil, Stanislas Dehaene, Richard Dawkins etc.).

Si le livre se contente trop parfois, sur telle notion ou tel concept, de mettre en avant une citation en la prenant, du moins formellement, comme argument d'autorité (ce qui confère à cet Essai sur la vie assassinée la dimension d'une copie d'élève inachevée dans son développement argumentatif, aggravée qui plus est par les nombreuse coquilles émaillant le propos tout du long), il n'en reste pas moins que l'auteur a le mérite pédagogique, source de toute émulation possible, de dresser en ces pages une cartographie des passages obligés pour qui voudrait affronter la redoutable question au sein de tout sub-jectum de l'articulation critique entre vie/mort, joie/souffrance, action/ennui.
La mécanique parfois trop bien huilée de l’utopie des posthumaniste se trouve ainsi mise à plat, en ce sens ex-pliquée, ce qui ne manque pas d'intérêt. Même si le sentiment demeure in fine que l'auteur confond souvent quantité et qualité et qu'à force de multiplier les sources il ne les interroge plus, ne les déploie plus en les scrutant, le prisme de notre misérable condition humaine est bien présenté dans son irréfragable tension vers une Surhumanité à la Nietzsche à même de réconcilier, enfin, le corps vivant et la machine cyborgisée, le cerveau cosmique et le mysticisme technologique, au-delà des sempiternelles affres spatio-temporelles semblant le lot de chacun.

Parcourant à grands pas ce qui sépare le paradis perdu de l'humanité augmentée, Bernard Edelman parvient à montrer sans concession, conséquence de la conquête effective de la vie éternelle, l'étonnant paysage qui se dresserait devant le dernier homme qui serait parvenu à vaincre la mort et dépasser ainsi, à ses risques et périls,  l'humaine condition.

frederic grolleau

Bernard Edelman, Essai sur la vie assassinée. Petite histoire de l'immortalité, Hermann, septembre 2016, 158 p. - 22,00 €.

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Un grand merci )