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Pascal, Pensées, "Qu’est-ce que le moi ?"

Publié le 25 Novembre 2015, 14:04pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

Pascal, Pensées, "Qu’est-ce que le moi ?"

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées.

Pascal, Pensées, "Qu’est-ce que le moi ?" Laf. 688, Sel. 567. 

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Proposition de traitement (en 2H sur table)  par Pauline Giraudon, Lycée Albert Ier de Monaco,TES3, novembre 205.

Blaise Pascal, dans son ouvrage Les Pensées écrit en 1670, aborde la notion du « moi ». On considère d’ordinaire que le « moi » représente une personne en son intégrité et qu’il est donc facile à trouver. Pascal veut au contraire montrer que le « moi » est introuvable, car, selon lui, il représente la substance qui demeure permanente au sein d’un être changeant. Pour le démontrer, il utilise l’exemple de l’amour.

 Pascal s’interroge donc : « Qu’est-ce que le moi ? Où pouvons-nous le trouver ? ».

 Pour y répondre, il écrit une première partie sur l’apparence physique qui n’est pas le « moi » de la personne, de la ligne 1 à la ligne 9, ensuite, dans une deuxième partie, il écrit que ni l’âme, ni la mémoire, ni le corps ne suffisent à définir le « moi », de la ligne 10 à la ligne 18, et enfin il termine en critiquant les rôles sociaux que nous jouons, qui ne représentent pas non plus notre « moi », de la ligne 19 à la ligne 21.

 

 

La première phrase du texte lance la problématique : « Qu’est-ce que le moi ? » (l.1). Pascal recherche-t-il donc son « moi » ou essaye-t-il de trouver celui de chacun d’entre nous ? Il continue avec une autre question : s’il marche dans la rue et qu’un homme se met à la fenêtre, est-ce la raison pour laquelle l’homme est sorti ? Il répond à cette question négativement, car l’homme ne pensait pas à lui. En effet, si l’homme ne le connait pas ou ne sait pas qu’il est au bas de la fenêtre, il ne pensera pas à lui, et il ne sera pas la "raison" de sa sortie. En revanche, il est possible, dans un autre contexte, celui dans lequel l’homme de la fenêtre connaitrait Pascal et savait qu’il était là, que l’homme serait peut-être sorti pour le voir.

En revanche, il utilise un autre exemple, celui de l’amour, qui occupera le reste du texte et qui s’oppose à celui de l’homme à la fenêtre, car, quand on aime quelqu’un, on y pense souvent et la personne aimée devient la raison de plusieurs de nos actions. Pascal pose alors la question rhétorique : l’homme qui aime quelqu’un pour sa beauté l’aime-t-il ? (l.7). Question à laquelle il répond encore une fois « non ». Selon lui, la beauté physique ne dure pas, donc l’amour est lui aussi éphémère. En effet, en vieillissant, l’apparence physique se dégradant, ce qui rendait une personne attrayante n’est plus, donc l’amour pour le seul "physique" n’existera plus. Par exemple, dans le Dom Juan de Molière, le personnage éponyme séduit de nombreuses femmes par son physique idéal, plus que par ses qualités intellectuelles. Seront-elles présentes, quand il sera vieux et repoussant ?  L’aiment-elles donc vraiment pour son « moi » ?

 

Dans la deuxième partie du texte Pascal évoque les facultés abstraites de l’homme, comme son »jugement » et sa « mémoire » (l.10). Il se demande si elles représentent son « moi », mais, selon lui, l’homme peut changer de jugement et perdre sa mémoire, au fil du temps. Or, l'auteur pense que le « moi » est une substance qui reste intacte au cours des années.

Pour résumer  il affirme que l’on aime une personne pour ses « qualités du corps et de l’âme qui sont périssables » (l.14). Pascal laisse donc entendre que la vieillesse altère l’amour, car on perd notre corps et notre âme. On peut cependant penser qu’une vieille personne peut avoir gardé son âme d’enfant, et être aimée pour cela, bien que cela ne représente pas son « moi ». Pascal conclut radicalement en affirmant qu’ « on n’aime jamais personne, mais seulement des qualités » (l.17), en utilisant des expressions très fortes : « jamais, personne, seulement ». On peut cependant contester une telle affirmation : aimer quelqu’un n’est-ce pas aussi aimer ses qualités ?

 

Pascal termine en évoquant les rôles sociaux que nous jouons. Il dit qu’il existe des personnes  qui se « font honorer pour des charges et offices » (l.19). En effet, lorsque l’on tient un rôle important dans la société, on se montre à des événements, en se mettant plus facilement en avant que d’autres. Pascal dit que ces personnes sont moquées car elles doivent être jalousées. Il dit aussi qu’il faut arrêter de se moquer d’elles, car c’est de l’hypocrisie. Effectivement, ces personnes essayent de se faire aimer non pas pour elles-mêmes, mais pour leur place sociale. Il affirme aussi que « l’on n’aime personne que pour des qualités empruntées » (l.21), c’est-à-dire que l’on n’aime personne pour sa vraie valeur, son « moi ». Il est vrai que la société peut être comparée à une soirée déguisée dans laquelle chacun possède une autre identité, qu’il trouve souvent meilleure et plus attrayante que la sienne. En revanche, dans la vie nous ne savons pas qu’il existe cette « soirée déguisée », et que chacun se cache derrière un masque, et nous aimons donc naïvement ce masque. Comment faire alors pour aller au-delà du masque, où se trouve, peut-être, le « moi » ? Mais ne peut-on pas aussi se demander : ce « moi » existe-t-il vraiment ?

 

Ainsi, dans ce texte, Pascal est à la recherche du « moi », qu’il ne trouve ni dans l’apparence physique, ni dans les qualités du corps et de l’âme. Tout ce qu’il trouve c’est que le moi est la substance d’un être qui reste inchangée au cours du temps. Le « moi » reste donc « introuvable ». On peut donc se poser la question de l’existence effective de ce « moi ».

 

 

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