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"Hannibal" (Ridley Scott, 2001), scène du dîner

Publié le 9 Novembre 2015, 10:48am

Catégories : #Philo & Cinéma

"Hannibal" (Ridley Scott, 2001), scène du dîner

Analyse de la séquence, en 35 mn

 

Proposition de traitement par Chiara Opperto, Lycée Albert Ier de Monaco, TS, 2015

Platon se demandait déjà dans le Phédon: « Est-ce le sang qui fait que nous pensons ? Ou bien l’air ? Ou le feu ? Ou bien n’est-ce aucune de ces choses, mais plutôt le cerveau ? ». La science, la neurologie mais plus précisément la science du cerveau a toujours passionné et questionné les philosophes. Dans l’extrait d’ Hannibal, on s’intéresse donc à la relation du corps et de l’âme à celle de l’unité et de la pluralité du moi, et au concept de la localisation cérébrale et de son influence sur les émotions et les actions.

L’extrait de ce cadre audiovisuel d’Hannibal nous montre un tueur en série, un barbare qui extrait le lobe frontal du cerveau qui se charge de la conscience, de la cognition, de la pensée abstraite et de l’action. Cet extrait remet donc en avant le problème traditionnel de la relation du corps et de l’esprit, de la question de la conscience, du concept de localisation cérébrale et des fonctions qui permettent d’étudier les phénomènes mentaux menant aux actions faites par le sujet, c’est la conscience psychologique et la distinction du bien et du mal, qui représente la conscience morale. Quelle est donc la nature de la connaissance ? Comment est-il possible de se représenter le monde ? La perte de la pensée conduirait-elle à la perte de toute émotion ? Voyons-nous le monde tel qu’il est ? Ou sommes nous piégé par un « malin génie »? Avons-nous la vision du monde qu’il est vraiment ou en fait avons-nous accès qu’à son apparence ?

C’est ce que montre Platon dans le "mythe de la caverne" où il oppose les mondes intelligible et sensible. Mais que sont le monde sensible et le monde des Idées ? Pourquoi distinguer deux mondes ? Pour bien comprendre la raison d’être de cette distinction, il y a la question philosophique de Socrate. Cette forme de questionnement est destinée à montrer à ses interlocuteurs « que ce qu’ils croient savoir, ils ne le savent pas ». La victime croit-elle donc savoir qu’on est en train de lui découper le cerveau ? De plus, le cannibalisme est évoqué, le tueur fait ingurgiter à sa victime le lobe frontal de son propre cerveau. Que se passe-t-il donc quand la victime ingurgite la partie de son cerveau ? Est-elle consciente de ses actions ? Le tueur veut-il donc savoir par simple expérience si l’ingurgitation du cerveau permet l’ingurgitation de connaissances ? Ou est-ce un simple acte de barbarie visant à montrer la perte totale de la raison de Paul ? La victime mange son propre cerveau, elle semble donc se réduire à un animal. La transformation de l’homme en animal démontrerait-elle alors une perte de toute raison ?

À travers cet extrait, il serait donc intéressant de se demander quels sont les changements qui se produisent parfois dans certains organismes à la suite de circonstances déterminées à la frontière entre une opération neurochirurgicale et un acte de barbarie. Cet extrait du film nous montre bien une expérience visant à éveiller notre curiosité sur le fonctionnement humain, et la relation entre l’esprit et le cerveau. Le lobe frontal extrait de la victime, comme nous l’avons vu, s’occupe de la conscience avant tout ainsi que de la pensée et l’action. Il permet d’aider l’esprit à se fixer sur un point important, à définir un objectif, à prendre une décision et à commander les mouvements volontaires.

Or, nous constatons que la victime ne ressent aucune douleur physique notamment quand on lui découpe le cerveau. On en déduit donc que la conscience est affaiblie, et que l’homme ne peut plus accéder à une partie de son être. Nous retrouvons l’idée de Freud : selon lui, il y a des représentations conscientes et inconscientes à part égale. Nous le voyons lorsque le serial-killer fait ingurgiter le lobe du cerveau à sa victime, qui le croque à pleines dents. Que se passe-t-il ? La victime ressent-elle des sensations à la gorge, à la langue ? Les sens sensoriels semblent-ils toujours fournir des connaissances de la façon la plus naturelle ? Or, dans ce cas là, le lobe est déconnecté, cependant la victime ressent toujours des sensations au niveau de l’odorat. Paul assimile l’odeur car c’est un autre lobe qui s’occupe de la reconnaissance des odeurs, cependant la victime est-elle réellement consciente de la réalité ?

La victime voit mais n’arrive pas à assimiler la réalité, il lui semble la voir mais ce n’est qu’une réalité illusoire. Son cerveau a-t-il donc raison de croire de ce qu’il voit ? Spinoza fait le rapport avec l’influence du corps et la conscience dans l’Ethique. Paul croit agir par sa propre volonté, de manière libre alors qu’il est sous l’emprise de la barbarie et du tueur fou. La conscience lui fait croire que l’esprit est en quelque sorte à l’origine de ses actions, c’est-à-dire manger son cerveau, et ignore que cette origine est à situer dans son corps, celui qui lui permet d’agir. La victime a conscience de parler et croit donc parler et agir de sa propre volonté, alors qu’elle parle et agit sous l’effet de la perte de la raison. Et même dans les connaissances qui nous viennent par le sens, tout nous vient-il par les sens ou bien faut-il reconnaître que ce qui vient proprement des sens doit être élaboré ou rendu possible par une fonction de l’esprit ? La raison par exemple ?

On peut donc dire que Paul est ici un homme privé de son intelligence, ce qui le conduit à la perte de la raison et donc le rendant à l’état d’un mort-vivant. Son corps est vivant mais son esprit est mort partiellement puisqu’il n’arrive plus à penser vrai, et à être conscient de ses actes. Mais comment le corps peut-il être relié à l’esprit sachant qu 'il est "mort" ? Pouvons-nous donc dire que le corps et l’esprit sont reliés ? Ou peuvent-ils être séparés? Nous pouvons donc retrouver l’hypothèse d’Hilary Putnam dans l’extrait Raison, vérité, histoire, (Minuit 1984) où l’expérience consistait dans ce cas-là à extraire le cerveau du corps et le mettre dans une cuve où le cerveau est piloté par un super-ordinateur intelligent qui remplace le corps et qui assure l’illusion de la normalité. Dans cette expérience, le cerveau et le corps sont séparés et pourtant, le savant fou arrive à piloter cette entité qui à l’origine était le siège de la pensée et du raisonnement. Tout comme le tueur, bien que le cerveau et le corps soient partiellement reliés, il arrive à contrôler les actions et la pensée de sa victime en lui donnant des drogues.

Nous pouvons donc, bien que ces expériences soient absurdes, les relier à la conscience. Dans l’extrait de Hilary Putnam, Raison, vérité et histoire, l’être humain est séparé de son esprit, ce qui est équivaut à dire que le corps est séparé de son âme. Or, il réussit à élaborer des informations par intermédiaire des connexions qui le relient à un super ordinateur qui le pilote. Ce cerveau a-t-il raison de croire ce qu’il croit ? On en revient donc à la théorie démontrée dans l’extrait d’Hannibal. On peut donc dire que la perception est mêlée à l’illusion. Elle peut donc se révéler limitée.

Ainsi, les illusions d’optiques montrent la faiblesse du jugement accompagnant nos sensations. De plus, les matérialistes considéraient que l’esprit n’est pas séparé de la matière mais qu’il est matériel et est une partie du corps. Selon La Mettrie, l’esprit meurt avec le corps. On peut ainsi introduire Descartes, le dualisme cartésien qui, en distinguant radicalement la matière (res extensa) de la pensée (res cogitans), a donné lieu à une séparation entre la faculté de sentir et la faculté rationnelle. Mais, écrit Descartes, le doute est, en lui-même, une preuve de l'existence du sujet qui est en train de douter : « je pense, donc je suis », « cogito ergo sum ». Dans cette démonstration de l'existence du moi, il n'y a aucune preuve que ce moi est une substance matérielle. Vu que la preuve de l'existence de ce sujet entièrement spirituel est nécessairement liée à l'acte de la pensée, Descartes aboutit à la conclusion que la pensée est l'essence même de l'âme. Par conséquent, la réalité est divisée en deux parties, la première spirituelle et la deuxième matérielle, la première une substance qui pense et la deuxième, la matière, une substance qui ne pense pas.

Les recherches actuelles des neurobiologistes confirment une étroite interdépendance entre le corps et l’esprit. En effet, l’âme de la victime affaiblie est privée de tout raisonnement et son corps est réduit à un état végétatif qui prouve cette interdépendance entre le cerveau et l’esprit.

 

En conclusion, après cette scène « gore » et terrifiante mêlée à la science et à la barbarie, à la neurobiologie et à la psychologie, que serions-nous si nous étions soumis à une expérience telle ? Peut-être sommes-nous sous l’emprise d’une drogue qui nous ferait croire que l’on écrit ce commentaire, que nous sommes conscients ? Est-ce une simple illusion ? Notre cerveau est-il donc relié à notre corps ? Et si mon esprit venait à mourir, que deviendrait mon corps ?

 

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Proposition de traitement par  Diego Carbone, Lycée Albert Ier de Monaco, 2015, T°S4

Dans cet extrait du film Hannibal, on observe une scène digne des plus grands films d'horreur. Lors d'un dîner romantique, le tueur en série nommé Lecter fait preuve d'un cannibalisme réfléchi et volontaire : il est pleinement conscient de ses actes. En revanche, il a drogué les deux autres "convives" de son repas, Paul et Clarice. Lecter fait manger à Paul sa propre cervelle, sans qu'il ne sente la douleur ou qu'il se rende compte de ce qui lui arrive. Paul n'est pas conscient de ce qui lui arrive : en effet il "n'est pas" dans ce monde mais il réagit passivement à la conversation entre Lecter et Clarice.
Hannibal est tout-puissant dans cette scène ( à l'image du grand général dont il porte le nom ) : il est le seul être conscient et il dispose d'un grand pouvoir. Le fait qu'il fasse manger à Paul sa propre cervelle pose de multiples questions : même si physiquement ( au sens biologique ) Paul se mange lui-même, peut-on penser qu'il dévore avec délectation également son esprit ?

Selon les travaux expérimentaux de Galien et comme le souligne Descartes et les neuroscientifiques modernes, le siège de "l'âme dirigeante" est dans le cerveau. Paul serait-il alors en train de manger son propre esprit, mais sans en être conscient ? Il ingère ainsi une partie physique de lui : on lui retire un morceau de l'âme mais il la mange par la suite ; le morceau d'âme aurait ainsi perdu sa valeur "divine" et deviendrait donc une simple nourriture.

Cette scène rappelle fortement le texte tiré de l'ouvrage d'Hillary Putnam nommé Raison, vérité et histoire dans lequel on retouve le même schéma d'un homme-dieu et d'un individu dans un état végétatif ( syndrome d'éveil non-répondant). On peut malgré tout trouver une opposition car dans le texte de Putnam le savant était considéré comme "fou" alors que dans cet extrait de film Lecter est pleinement conscient de ses actes, il fait preuve de courtoisie et de politesse. On pourrait quand même se poser des questions sur les différents degrés de folie, notamment concernant Lecter. Selon le philosophe Alva Noë, la vie ne se résume pas à des processus chimiques au sein de notre corps mais à des interactions avec le monde extérieur. Hannibal serait ainsi en train de faire ingérer à un "mort" sa propre cervelle, ce qui pourrait donc plus se rapprocher d'un acte nécrophage que cannibale.

Chacun des acteurs dans cette scène fait preuve d'une conscience différente : Hannibal serait dans un état perspective tandis que Clarice ferait plus preuve d'une conscience morale : elle est révulsée lors de cet acte. Ainsi, cette scène d'Hannibal pose de nombreuses questions philosophiques quant à la nature de l'homme. Il est indéniable que Lecter fait preuve d'un génie maléfique : il est d'une précision chirurgicale quand il retire la calotte crânienne de Paul. Le fait que Paul ne soit pas conscient et qu'il ne perçoive ce qui l'entoure montre qu'il est dans un état végétatif : il ne "vit" qu'en raison des différents processus chimiques de son corps.

Cet extrait montre ainsi que le caractère sacré et protégé de la cervelle peut être souillé et donc que l'on ne connaît plus vraiment l'état dans lequel se trouve Paul.

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