Rentrer. Maison.
« Laissez-moi vous résumer ma situation : je suis coincé sur Mars, je n’ai aucun moyen de communiquer avec Hermès ou la Terre, tout le monde me croit mort et je suis dans un Habitat censé pouvoir durer trente et un jours. Si l’oxygénateur tombe en panne, je suffoque. Si le recycleur d’eau me lâche, je meurs de soif. Si l’Habitat se fissure, j’explose ou un truc comme ça. Dans le meilleur des cas, je finirai par crever de faim. Ouais, je crois bien que je suis foutu. »
Le ton est donné dès les premières pages du livre, plutôt mené tambour battant et halelant, de Andy Weir. Abandonné suite à un accident par ses camarades sur la planète rouge, l'astronaute, biologiste et ingénieur mécanicien Mark Watney a bien du souci à se faire : les ressources dont il dispose, prévues pour 300 jours, ne sont pas infinies, le héros involontaire – qui plus est privé de communication avec la Terre et donc d'aide extérieure dans l'immédiat – doit s'ingénier à tout mettre en oeuvre pour survivre dans l'attente d'hypothétiques secours (prévus 4 ans plus tard …si tout va bien).
Pour en rajouter dans le tragique obvie si besoin était, il semble que le matériel dont dispose l'astronaute ne soit pas d'une fiabilité totale... La suite de son combat prendra la forme, en guise de « moraline », d'un journal de bord alternant avec les manœuvres, plus ou moins désespérées, plus ou moins ratées face à l'urgence, de la NASA afin de le sauver.
Doté d'un tel scénario étique qui oscille entre Robinson Crusoé et Gravity, on se dit que l'histoire va vite tourner court, mais il n'en est rien. Tout d'abord parce que, tandis que pullulent des incidents de toutes sortes dans cette Odyssée hig tech, Seul sur Mars présente des pages parfois d'un haut niveau technique/scientifique d'information (sur les relations chimiques entre les gaz, sur l'atmosphère, les spécificités astrophysiques d'un oxygénateur ou d'un recycleur d'eau etc. – même faire pousser des patates relève dans le contexte d'un rare exploit !), parfois pas très accessibles au béotien pour dire les choses – mais qui poussent du coup le lecteur à faire un effort pour suivre le cheminement intellectuel du fort optimiste Watney, jamais à court de trouvailles pour échafauder le bricolage génial qui lui permettra de dépasser un énième revers de l'adversité. Ensuite, parce que le roman ne cesse de saper les bases même du suspense insoutenable en train de s'élaborer, au vu de la course contre la montre engagée, par l'humour sarcastique et omniprésent (parfois à la limite de la grossièreté et d'une simplicité tout en contraste avec le haut niveau de connaissance affiché par notre protagoniste) qui paraît plus d'une fois demeurer la seule arme décisive que l'Homme détiendrait sur Mars.
Ce mélange détonnant de science et d'abnégation teintée d'humour nous offre ainsi un premier roman qui finit par paraître jubilatoire. Contre toute attente, le seul ennemi de Andy Weir pourrait bien dans ces conditions être l'adaptation (par Ridley Scott) de Seul sur Mars au cinéma (avec Matt Damon dans le rôle de Mark Watney), le film étant sorti en salle à l'automne 2015 : un blockbuster au succès déjà assuré qui pourrait faire en sorte que l'écran fasse oublier l'écrit originaire, ce qu'on ne souhaite pas au jeune romancier, tant sa maîtrise du sujet à tous points de vue mérite d'être reconnue et pleinement saluée.
frederic grolleau
Andy Weir, Seul sur Mars, Bragelonne, 2014, 404 p. - 20,00 €.
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