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Furukawa Hideo, "Soundtrack"

Publié le 12 Septembre 2015, 14:15pm

Catégories : #ROMANS

Guide apothéotique de survie nippon

Outre qu'il est fleuve, le roman de Furukawa Hideo est âpre. Difficile de rentrer dans le récit, chamboulé qu'est le lecteur d'emblée par une langue rude et dure, sans concession, émaillée de multiples scènes de meurtres et de sexualité déviante. La première partie du texte nous met en présence de deux enfants des années 1990,  sorte de Paul et Virginie du Soleil levant, naufragés sauvageons pendant deux années sur une île qui n'est peuplée que de chèvres. Rebuts de la civilisation, Touta et Hitsujiko qui sont les héros du livre, développent pour survivre des réflexes - « anormaux » ou a-nomaux - loin de toute culture policée traditionnelle.
 

Mais la société les rattrape (à cause desdites chèvres à éliminer à intervalles réguliers !), les réintégrant dans le giron d'un Japon uchronique par le biais de l'école et de familles d'accueil, les amenant alors à développer pour chacun (mutisme solitaire pour le garçon aîné,  danse extatique aux mouvements infinis pour la jeune fille) un genre de bouclier spécifique contre les dérives et les agressions de la civilisation – notamment, l'accroissement endémique de l'immigration clandestine dans une capitale, Tokyo, au climat tropical (sic) où surgissent pléthore de de plantes d’animaux au moins insolites et dignes du jeu « Cherchez l'erreur ». Ce, à cause du réchauffement climatique en train de mettre toute la planète en péril.A ce duo surnaturel de personnages atypiques s'ajoute la figure tout aussi étrange/étrangère de Léni, immigré libanais ayant le pouvoir de se transformer à volonté en fille ou garçon, toujours accompagné de son fidèle compagnon, le corbeau Kroy. Et le romancier de nous confronter à la redoutable question de la norme, de la rationalité ouverte au regard du paria paradigmatique dont il fait varier toutes les facettes tout du long de l'oeuvre.


Propos complexe sur les vices de l'intégration et les vertus de la différence que celui de Soundtrack, bande-son de l'impossible délicate à saisir, et qui suppose un temps certain de « macération » pour qu'on s'en imprègne. C'est surtout à la page 130 – si l'on a la patience d'aller jusque là, de passer outre certains apartés gratuits telle l'histoire de Matsuo (pp. 95-102 ) - qu'une fracture s'ouvre, permettant alors au roman de s'emballer. Cette page coïncide en effet avec la cruelle séparation de Touta et Hitsujiko, mais aussi à la rencontre de Léni et "l'installation" du contexte ambiant. Sur le fond apocalyptique dépeint, l'on comprend mieux de facto ce qui justifie le portrait des personnages précédents, au fil d'une mise en abyme croissante du schisme nature/culture.


N'ayant toutefois pas la même maîtrise ni la même fluidité qu'un Haruki Murakami, Furukawa Hideo peine à distiller les très nombreuses informations techniques présentées à foison (de la sociologie à climatologie, de la psychologie à la psychiatrie en passant par la médecine, l'épidémiologie et la botanique - soyons fous !), se perdant par exemple et plus souvent qu'à son tour dans de fastidieuses listes de noms de rues ou quartiers japonais.
Entre science-fiction et chamanisme hype, un souffle indéniable et habité traverse donc ce guide apothéotique de survie nippon qu'est Soundtrack, entendant en découdre avec notre perception habituelle de la réalité mais la narration, las, ne tient pas pleinement la prétention affichée. Un son littéraire auquel certains, pour ces raisons, resterons sourds.

frederic grolleau

Furukawa Hideo, Soundtrack , traduit du japonais par Patrick Honoré, éd. Philippe Picquier, juin 2015, 619 p. - 23,50 €.

Furukawa Hideo, "Soundtrack"
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