fredericgrolleau.com


Fabrice Colin & Sacha Goerg, "Chicagoland"

Publié le 27 Septembre 2015, 11:53am

Catégories : #BD

Peine capitale

Adapté du recueil de nouvelles de Roger Jon Ellory, Trois jours à Chicagoland, ce polar-one shot met en scène trois nouvelles ayant comme dénominateur commun le meurtre de l'institutrice sans histoire Carol Shaw, étranglée dans son appartement de Chicago, à la fin des années 50. Chaque nouvelle d'égale longueur présente, à la façon dont Brian de Palma filmait la version de chaque protagoniste dans Snake Eyes (1998), un point de vue différent sur l'assassinat qui a eu lieu.

Que ce soit Maryanne Shaw, la sœur de la victime, l'inspecteur Robert Maguire qui a mené l'enquête ou Lewis Woodroffe, le tueur en instance d'exécution par la chaise électrique, chacun nourrit bien entendu son interprétation personnelle des événements gravitant autour de la disparition tragique de Carol Shaw. A  charge pour le lecteur de trancher et d'établir la vérité, lui qui détient la synthèse de ces multiples focales antithétiques entre ses mains.
La clef de l'intrigue tient de fait  à ce que les apparences sont souvent trompeuses et que Maguire sait de source sûre que, tandis que les gens honnêtes sont « plutôt vagues et indécis », les menteurs, eux, « ne changent jamais leur version ». Or, celle de Lewis Woodroffe, par ailleurs «  le meurtrier le plus docile et coopératif du monde », n'a pas varié d'un iota depuis qu'il s'est livré lui-même à la police. Soupçon, vous avez dit soupçon ?

Il fallait toute l'expérience (de scenarii de bandes dessinées mais surtout d'écriture romanesque) propre à Fabrice Colin pour adapter, sous une forme aussi abrégée, le texte de R.J.Ellory, un des maîtres actuels du polar. Dans une triple histoire allant crescendo, le suspense, bien servi par le fil de la narration ainsi que les remarquables couleurs apposées à l'aquarelle par Goerg, porte davantage sur les lourds secrets des uns et des autres - la personnalité de la victime elle-même n'échappe pas à la règle (l'enquête des policiers sur le terrain rejoignant l'introspection de chaque personnage tourmenté - que sur la condamnation de Lewis. Certains flash-backs nous font ainsi remonter jusque dans les années 30, une investigation tant « archéologique » - au sens étymologique du premier principe - que psychanalytique, qui livre au passage un portrait sans concession de l'Amérique.

Indéniablement, c'est cet équilibre délicat entre le scénario et le dessin qui confère un intérêt majeur à ce roman graphique qui parvient à incruster l'intrigue initiale de R.J.Ellory dans un véritable écrin chromatique, avec un beau travail sur la découpe dynamique des cases, certaines sur fond blanc non détourées, d'autres habilement enchevêtrées (à l'image des trois fils narratifs peut-être ?) et laissant place parfois à de sobres panoramiques ou à des effets de travellings selon que le plan est plus ou moins grossi : loin d'une lecture « statique » d'un Chicago encore hanté par les gangster d'antan et baigné d'une normalité trop policée pour être honnête, il ressort de ce Chicagoland une dimension fort cinématographique si l'on ose dire. La case pleine de la page 22 pourra ainsi faire songer aux Douze hommes en colère de Sidney Lumet (1957) - le meurtre ici a lieu en 1956 - qui posait déjà l'épineuse question de la formation et de la critique du jugement individuel face au corps citoyen collectif.
Bref, une réussite à tous points de vue !

frederic grolleau

Fabrice Colin & Sacha Goerg, Chicagoland (d’après Trois jours à Chicagoland de R. J. Ellory), Delcourt, septembre 2015, collection Mirages, 142 p. - 17,95 €.

 

Fabrice Colin & Sacha Goerg, "Chicagoland"
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article