Proposition de traitement par Louis Catteau, lycée Albert Ier, TS3, mai 2015.
Étymologiquement, «morale» vient du latin « moralis » - traduction par Cicéron, du grec « ta èthica »- ; les deux termes désignent ce qui a trait aux mœurs, au caractère, aux attitudes humaines en général et, en particulier, aux règles de conduite et à leur justification. La morale apparaît, comme le système des règles que l’homme suit - ou doit suivre- dans sa vie aussi bien personnelle que sociale. Vu ainsi, le problème moral et les problèmes de la morale constituent le centre de toute réflexion, puisque toute entreprise humaine, pour désintéressée qu’elle se croit, est soumise à la question de savoir si elle est justifiée ou non, nécessaire, admissible ou répréhensible, en accord avec les valeurs reconnues ou en contradiction avec elles, c’est-à-dire si elle aide à la réalisation de ce qui est considéré comme souhaitable, à la prévention ou à l’élimination de ce qui est jugé mauvais.
Une action ou un caractère sont ainsi classés comme moraux ou immoraux, de même que les règles consciemment ou inconsciemment suivies dans les actes qui expriment le caractère. Puisque ces règles ne sont pas les mêmes pour différents individus, époques, civilisations, sociétés, la question se pose de savoir comment découvrir un vrai bien et une vraie morale. Il n’existe pas de communauté humaine, pour primitive qu’elle soit, qui ne connaisse de règles et ne distingue pas le bien d’avec le mal : règles de mariage, interdiction de l’inceste (cf travaux de Claude Levis Strauss…), de distinction entre nourritures permises, interdites, parfois prescrites au cours de certaines cérémonies ; d’obligations dans le processus du travail du groupe, etc.
En ce sens, on trouve partout une morale comme forme de vie. L’action qui vise à gérer les règles et les affaires de publiques s’appelle la politique. En effet, du grec « polis » - cité- la politique désigne originellement ce qui a trait à au affaires de la ville, donc dans un contexte plus moderne aux règles publiques. On comprend donc le lien fort entre les règles de la morale et la politique. En effet, sauf si l’on présuppose que la morale est universelle et qu’elle n’a donc pas besoin d’être mis en place par la politique, les règles de la morale découlent de la politique, et dans les deux cas, la politique permet de faire appliquer ces règles morales, son rôle est donc primordial.
Partant de là, on se demande si la morale existe de façon dissociée de la politique, ou si ces deux entités sont liées l’une à l’autre, la politique étant la partie officielle de la morale qui serait le fond officieux. Ainsi pourrait-on penser moralement sans se préoccuper de la politique ? Et de manière plus concrète, pourrait-on agir moralement sans se préoccuper de la morale ?
Ces deux questions sous-entendent de plus que l’on peut agir moralement de notre propre volonté, c’est-à-dire de manière consciente donc responsable, et qu’agir moralement ne serait pas une simple habitude sociale inscrite dans un « überich » - surmoi - freudien. De plus, qui parmi les hommes, prendrait de son temps pour agir selon les règles morales, s’il ne trouvait pas un intérêt quelconque dans le politique, qu’il soit personnel, social ou autre ? Pour reformuler il paraît curieux d’imaginer un homme agir moralement, en se préoccupant de la politique, mais sans y trouver un véritable intérêt. Enfin, dans le cas où l’on pourrait agir moralement sans penser à la politique, devrait-on chercher à le faire ou bien à toujours lier les deux concepts. Ce qui nous amène donc à cette question : « Peut-on [doit-on] [du moins penser et au plus] agir moralement [de façon consciente] sans s’intéresser [ou même se préoccuper de/] à la politique ? »
Nous verrons dans un premier temps que l’on peut facilement agir moralement sans porter aucun intérêt à la morale pour ensuite montrer que ces actes sont inconscients et que pour une véritable action avec conscience morale, il faut s’intéresser à la politique qui est au fondement de la morale.
Dans un contexte plus large, ce questionnement s’inscrit dans une réflexion visant à savoir d’où vient la morale et quel est son champ et modèle d’action.
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Que les règles de la morale soient universelles ou non, elles sont pour la plupart ancrées dans la mentalité des hommes depuis leur plus jeune âge, et inculquées ou du moins approfondies par l’éducation des parents. Alors si l’on prend l’exemple d’un berger vivant dans sa montagne en autarcie relative du monde – exemple stéréotypé s’il en est -, il paraît évident que cette personne est totalement indifférente à la politique, ne serait-ce par le fait qu’elle ne vit pratiquement jamais en ville. Pourtant on peut se douter après ce qui est écrit ci-dessus que cet homme va par habitude agir en accord avec les règles morales qui lui ont été transmises et/ou avec celles qui sont en lui. De cet exemple, on peut induire qu’il est pratiquement –en opposition avec théoriquement - concevable et possible d’agir moralement sans s’intéresser à la politique. Cependant, il est notable que dans ce cas le berger agira par habitudes, ses actions, certes en accord avec la morale, sont le fruit d’un automatisme acquis durant son enfance et ses longues années de routine. Dans ce cas, peut-on dire qu’il a agis moralement de façon consciente ?
Non, ces actions sont plus un reflet de ce Sigmund Freud appelle dans sa « Seconde Tropique » le « surmoi » - litéralement «ûberich » - . en effet, dans ces recherche sur l’inconscient, Freud explique que les automatismes telles que les interdits moraux viennent de l’éducation et de l’environnement social et que ces pensées ne sont pas toutes conscientes mais en partie inconscientes. Dans ce cas, on peut se demander s’il est possible d’agir moralement de façon consciente et non par habitude, et si la réponse est non notre devoir s’arrête là – car d’un point de vue logique si l’on a montré un contre-exemple à la thèse proposée, celle-ci n’est plus valide.
Néanmoins, agir moralement de façon inconsciente est-ce réellement agir moralement ? Dans Les fondements de la métaphysique des mœurs de 1785, Kant, lui, explique que l’action n’est morale que si et seulement si elle est faite dans un but moral. Si l’action est faite pour tirer un mérite quelconque, elle n’est pas morale car l’intention à l’origine de cette action n’est pas morale, si elle est faite par habitude, elle n’est pas morale non plus car pour Kant, c’est la volonté a priori du sujet de suivre la morale qui est morale. Pour donner un exemple qui exprime cette logique, pour Kant, un homme qui pense à commettre un crime, mais qui ne le commet pas, serait presque autant coupable que s’il l’avait commis parce que son intention était contre la morale et qu’il s’est conformé à la morale dans le but de ne pas se faire punir par la société, donc par intérêt, donc pas par morale. Kant résume ce point dans cette formule : « mainte action peut être réalisée conformément à ce que le devoir ordonne, sans qu'il cesse pour cela d'être encore douteux qu'elle soit réalisée par devoir et ainsi qu'elle ait une valeur morale. ».
Cette idée doit être mise en lien avec la formule de Pascal : « la vraie morale se moque de la morale ». En effet, si l’individu, comme Kant le précise agit moralement dans la volonté d’agir moralement, il est possible qu’il agisse pour bien faire, dans l’intérêt d’avoir bien fait, il n’agit donc plus moralement mais toujours par intérêt. Pour illustrer cet exemple, on peut prendre l’exemple du petit enfant qui pour être conforme aux règles catholique fait une bonne action, mais dans l’idée que la bonne action est bonne : cette action n’est pas morale parce qu’elle est guidée par l’intérêt d’être heureux d’avoir bien agi. Il faut donc que l’action morale soit exécutée avec l’idée de « vraie morale », nous entendons ici la morale universelle, qui est inscrite au fond de chaque homme et qui n’est pas déviée et pervertie par la morale extérieure.
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Or pour Nietzsche la morale n’est que le résultat de la faiblesse de l’homme. En effet, sa faiblesse physique est à l’origine du rassemblement des humains en communautés afin de se défendre. Ces dernières ont dû pour fonctionner instaurer des règles qui se sont muées en règles implicites ont donc créé la morale au fil du temps. Cette thèse soutenue par Nietzsche dans La généalogie de la morale remet en cause ce que nous avons défendu plus haut car si la morale n’est à l’origine que le résultat d’intégration à l’intérieur de l’homme de règles qui servent à vivre en société pour survivre, la morale intérieure dont il est question est alors inconcevable, elle n’existe tout simplement pas. De plus la morale elle est indissociable par essence de la pensée politique.
De ce point de vue, il est nécessaire – du sens étymologique « ce sans quoi n’est pas » - de connaître et être concerné par la politique pour agir moralement. Aristote a écrit : « l’homme est un animal politique », il faut rappeler que cette citation ne signifie pas que pour Aristote l’homme s’intéresse par essence aux questions politique, ce qui serait faux (cf premier paragraphe), mais que l’homme est le seul animal à s’être organisé en cités – polis en grec-. De là peut découler le fait que les règles morales, d’origine politique, se sont inscrites et ancrées dans les individus.
En effet, si l’homme s’est organisé en cités, il a dû, par contrainte en quelque sorte, s’intéresser de fait à la politique pour permettre à son modèle social de survivre. Si, dans ce contexte, on suppose que toute morale vient de décisions et d’organisation politiques, il est déduit que pour agir moralement il faut s’intéresser à la politique. Nous parlons d’intérêt, car dans ce cas il ne faudrait pas simplement connaitre la politique, ce qui conduirait à appliquer sans questionner les anciennes règles morales, mais réellement trouver un intérêt dans la politique, intérêt qui conduirait à remettre en cause les règles morales établies et à faire ressortir une « vraie morale » qui permettrait alors effectivement d’agir moralement.
Cependant, si l’on suppose que, la morale est universelle et transcendante – c’est-à-dire d’un autre genre, inaccessible et supérieur à l’homme -, il faut voir le processus à l’envers. Ce ne serait pas la politique qui serait à l’origine de toute morale mais la morale serait antérieure à la politique qui ne serait pour le coup que la retranscription de la morale universelle dans le cadre de l’organisation de la cité.
Pour conclure, nous avons vu que l’origine de la morale est au cœur de la réponse au problème. Si la morale est transcendante, alors il parait envisageable d’agir moralement sans s’intéresser à la politique ; dans l’autre cas, l’intérêt dans la politique est indispensable pour toute action morale.
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