Proposition de traitement par Louis Catteau, TS, Lycée Albert Ier, octobre 2014.
Alain nous disait, dans Les Définitions que « la conscience est le savoir revenant sur lui-même et prenant pour centre la personne elle même qui se mette en demeure de décider et de se juger » . En effet la conscience, du latin « cum »/ «scientia », avec science est la capacité qu'a un être à se projeter rétrospectivement sur ses actes ; cependant, pour que cette définition ait sens, il faut être, il y a le besoin de présence d'une entité qui soit ! Il faut donc bien qu'il y ait un sujet, soubassement de toute chose qui se reconnaisse, elle et ses actes. C'est donc à ce sujet qui « est » que l'on peut rattacher cette connaissance de lui, par lui, qui est appelée par Alain la conscience.
Cette science peut posséder plusieurs aspects, car même si à partir du moment où l'on a quelque chose qui est, et qui sait qu'elle est, on peut la qualifier de consciente, il est nécessaire de distinguer une conscience « végétative » d'une conscience collective d'une conscience morale.
Car si la conscience végétative est la connaissance, plus précisément le reconnaissance de ses sensations et de leur sens, par exemple lorsque j'éprouve une sensation de faim, je sais que c'est moi qui ai faim et je reconnais cette sensation comme celle de la faim, je suis donc conscient de la faim. Cette conscience doit être différenciée de la conscience collective qui nous permet de saisir notre environnement, notre contexte historico-culturel. Cette dernière n'a quant à elle rien à voir avec la conscience dite « morale » qui est en quelque sorte un juge intérieur qui nous donne son avis subjectif sur tous nos actes et pensées.
De cette dernière définition découle un certain nombre de devoirs, le devoir étant une inclination nous poussant à entreprendre certaines actions, au nom de principes formés par notre conscience collective ou morale. Il est important de distinguer la notion de de devoir de celle de la nécessité (du latin necessitas :ce qui ne peut pas ne pas être nous est imposé et absolu) : elle se rapproche plus d'une obligation déterministe que d'une obligation morale (sachant que le déterminisme est un enchaînement cyclique d'actions obligatoires à la continuité de la vie).
Mais si cette conscience peut nous donner des devoirs moraux ; qui sont à la base de la civilisation, il faudrait donc que cette conscience soit innée ; en effet, on peut souligner les travaux de Claude Levi-Strauss à ce sujet, qui dans ses œuvres montre que toutes les civilisations ont des règles morales communes.
Or si comme le disait Aristote, « L'homme est un animal politique » , c'est -à-dire que l'homme est un animal qui à su s'organiser en cités( « polis » en grec) et vivre en civilisations, il faut que la conscience soit une chose innée.
Cependant, selon Nietzsche la conscience n'est que le fruit du langage et du besoin des hommes à communiquer. Ce qui nous amène donc à un problème : Sommes nous [déjà] conscients ou avons nous [le devoir, l'obligation, la nécessité de] nous rendre conscients ?
Nous allons donc chercher à comprendre si, tout d'abord nous sommes, ensuite si nous sommes conscients ; encore si c'est bien nous qui sommes conscients, enfin si nous ne le sommes pas, avons nous à nous rendre conscients ? Et dans un dernier temps si nous avons à nous rendre conscients, qu'est ce qui nous pousse à nous le rendre ?
A travers notre réflexion, nous chercherons à montrer si la conscience est quelque chose d'innée où si elle est quelque chose qui s'acquiert au cours du temps.
Sommes-nous ? Cette question ressemble à un axiome de mathématiques tellement elle paraît à la fois fondamentale et difficile à expliquer. C'est justement un mathématicien, qui, avec un raisonnement logique à tenté de répondre à cette question, nous allons reprendre son cheminement.
Le raisonnement premier partirait du postulat que comme je m'entends, je me sens, je me vois, j’éprouve des sensations, alors j'existe. Cependant, il est facile de démontrer que nos sens peuvent nous tromper, par exemple le soleil, la vue nous indique qu'il tourne autour de nous ; or, l'humanité à peut être mis du temps à l'admettre, mais il n'en est rien.
Reconnaissant la faiblesse de nos sens, les philosophes Stoïciens, appelés aussi philosophes du doute vont remettre en cause tout ce que nos sens perçoivent. Il ne reste donc de véritable et à l’écart du doute, que nos pensées : mes sens peuvent bien me tromper, si j’imagine un rond, je me représente un rond. Là, certains Stoïciens iront encore plus loin en supposant qu'il est possible qu'il existe une « force » qui nous fasse croire que nos pensée ont sens, alors qu'elles n'en ont pas. Quel est l’intérêt d'un tel procédé ? Si quelque chose s’évertue à nous faire croire que nos pensées ont un sens, il s’évertue bien à le faire à nous ! Donc même dans le doute poussé à l’extrême, « Cogito ergo sum », je pense dons je suis nous dit René Descartes.
Maintenant que nous savons que nous sommes, sommes-nous conscients ?
« Tout homme à une conscience et se trouve en quelque sorte observé, menacé, et de manière générale tenu en respect (respect lié à la crainte) par une puissance qui veille en lui sur les lois et cette puissance n'est pas quelque chose qu'il se forge à lui même arbitrairement, mais elle est inhérente à son être », nous dit Emmanuel Kant dans Les fondements de la métaphysique des mœurs de 1788.
Cette citation nous intéresse car, non seulement elle postule que l'homme à une conscience mais que tous les hommes en ont une, et que celle-ci est inhérente (collée de l’intérieur). Pour comprendre la citation, il faut repartir du fait que l'on sait que l'on existe. A partir du moment ou l'on sait que l'on existe, c'est que l'on se reconnaît dans cette existence qui est la notre, et que l'on associe les pensées, actes et choix que l'on fait à un même sujet qui est « moi ». A partir du moment où l'on existe, on est donc conscient il y a une équivalence entre les termes. De là est induit le fait que l'on se sente observé, menacé et tenu en respect ; en effet , si l'on est capable de se représenter on se retrouve en quelque sorte « forcé » de se juger, obliger d'apporter une notion de bien et de mal à nos actes. Pour appuyer cet argument, vous pouvez vous référer aux travaux des anthropologues qui nous rapportent que dans toutes les civilisations, il y a eu création de consensus communs sur des choses à faire et à ne pas faire, les religions sont d’excellents exemple pour cela. Cependant Kant argue ici que le conscience est inhérente à l'être, qu'elle lui est donc imposée et indissociable.
Kant défend aussi le fait que cette conscience qui est inhérente à l'être n'en est pas pour autant active dès la naissance, elle n'est donc selon lui pas innée. Il argumente en disant que les enfants mettent un certain temps entre le moment où ils commencent à parler et le moment où ils commencent à dire « Je », moment correspondant à la prise de conscience de son propre sujet.
Il est intéressant d'introduire ici la pensée Nietzschéenne qui lui est opposée .
En effet, Nietzsche, philosophe allemand du XIXème siècle rapporte dans le Gai Savoir, au § 354, que la conscience n'est en fait que le reflet du besoin pour l'homme de vivre en groupe et de communiquer.
Ainsi, pour Nietzsche, l'Homme, de par sa faiblesse à du utiliser ses capacités à s'unir en groupe pour devenir plus fort, et de cette mise en groupe découle un besoin de communiquer, de cette communication découle un langage, de la mise en forme des règles sociales par ce langage découle ce que l'on appelle la conscience.
La conscience ne serait donc qu'un abus de langage, et serait alors non pas innée mais le fruit du besoin de règles et de communications.
Par ce raisonnement, Nietzsche implique aussi que c'est non pas un devoir, non pas une obligation morale mais bien une nécessité de survie que de devenir conscient.
Nietzsche reviendra aussi sur le raisonnement de Descartes, attaquant le fait que ce dernier prouve bien qu'il y a quelque chose de qui pense, donc qui est, donc qui a une conscience mais où prouve-t-il que c'est bien lui, son sujet qui pense et non pas en fait un être, qui est manipulé par son éducation, sa place dans la hiérarchie socio-culturelle, et son contexte historique.
Dans le cas où nous serions conscients, est-ce bien nous qui sommes conscients ? Si l'on pose le fait qu'un individu est le résultat pur de l'actions des facteurs qui sont l'éducation, l'environnement et le contexte socio-culturel, On peut revenir sur le principe même « Sommes nous ? » . On a réussi à montrer que s'il y à « nous », alors ce nous a une conscience, mais on a du mal à démontrer que ce nous est autre qu'un corps avec un cerveau et des expériences qui fondent en lui une personnalité. Mais ce raisonnement trouve ces limites dans le fait que même si l'on est que ce « quelque chose » qui est le résultat d'une expérience, nous sommes donc quelque chose, alors nous pourrions être conscients.
En repartant du raisonnement plus haut et en supposant cette fois que nous ne sommes pas conscients, faut-il le devenir ? Selon Nietzsche oui, car c'est une nécessité à la survie. Kant lui explique que l'on devient conscient par l’éducation, mais ne pose pas la question si nous avons à le faire ou pas, il le constate.
Sartre, philosophe de l'après-guerre nous met en garde contre les dangers de la conscience. Selon lui, la conscience est un fardeau ; en effet le fait d'avoir conscience de sa misérable condition et des horreurs que l'humanité est capable de produire est difficile à supporter. Cependant on y est forcé. Son livre La nausée rendra compte de ce malaise à travers son personnage Roquentin qui est conscient mais qui en a horreur, ne peut s’empêcher d'être conscient. On en déduit donc qu'une fois que l'on devient conscient, on a beaucoup de mal à ne plus l'être, il faut être drogué, endormi ou mort. Cela nous conduit à nous demander, si nous avons la possibilité d'être conscient, doit-on la saisir ?
Un autre problème est que si « avons nous » est considéré comme un devoir, il ne peut exister, car nous avons définit le devoir comme venant de la conscience. Si il est considéré comme une nécessité, comme vu par Nietzsche, le problème n'est plus. Car si nous ne pouvons pas ne pas devenir conscients, alors quel est l’intérêt de chercher si nous avons ou non à nous rendre conscients. Si c'est une possibilité, après avoir lu Sartre, on peut émettre des doutes sur l'envie de l'homme à se rendre conscient. Nous sommes donc dans une impasse.
Sauf que « se rendre », le verbe « rendre » est défaitiste, la reddition c'est lorsque l'on abandonne. Alors devenons-nous conscients ? Ou sommes-nous contraint à le faire ?
C'est là que nous trouvons la sortie de notre impasse, il est sûr que nous avons à devenir conscients (d'après le raisonnement plus haut), mais « nous rendons-nous » conscients ?
Le mot "rendre" peut aussi venir du verbe rendre dans le sens re-donner à son propriétaire ; dans ce cas si nous nous rendons conscients, nous nous re-donnons une conscience que l'on avait déjà, ce qui paraît difficile puisque cela impliquerait que nous sommes conscients par essence, or on nous demande si nous sommes conscients par essence ou par existence.
Si « se rendre » a le premier sens, devenir conscient serait considéré comme une défaite ? Et pour se rendre, il faut avoir un (au moins) adversaire, quel serait l'adversaire qui nous contraindrait à devenir conscients ?
Selon Nietzsche, se serait la force de la nature l'adversaire. C'est elle qui tuerait l'homme s'il n'avait pas développé sa conscience.
Selon Kant, se sont les parents qui, par l’éducation, nous « forceraient » à devenir conscients.
Selon Descartes, d'après qui la raison vient de Dieu, c'est ce dernier qui « contraint » les hommes à avoir une conscience ?
Quel que soit cet adversaire, c'est toujours une force plus puissante que nous qui nous rend conscients.
A-t-on alors à se rendre à cette force ? Au vu du paragraphe précédant, il est clair qu'il n'y a pas trop le choix, vu qu'on y est contraint, mais en supposant qu'on ait le choix et en voyant les conséquences de la non-conscience, c'est-à-dire la mort ou la bêtise, il semble cohérent de penser qu'on ait à se rendre conscients.
Notre raisonnement nous a conduit à penser d'abord que nous existons, que nous avons une conscience. Nous avons ensuite remis ces fondements en question, pour aboutir au fait que nous ne sommes pas conscients de naissance mais que nous le devenons, contraints par une puissance contre laquelle on ne peut rien.
Le conscience est donc un savoir qui s’acquiert, de force au fil du temps.
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