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"Lucy" (Luc Besson)

Publié le 6 Novembre 2014, 13:44pm

Catégories : #Philo & Cinéma

 

REALISATION : Luc Besson
PRODUCTION : EuropaCorp, TF1 Films Production
AVEC : Scarlett Johansson, Morgan Freeman, Choi Min-sik, Amr Waked, Analeigh Tipton, Julian Rhind-Tutt
SCENARIO : Luc Besson
PHOTOGRAPHIE : Thierry Arbogast
MONTAGE : Julien Rey
BANDE ORIGINALE : Eric Serra
ORIGINE : France
GENRE : Action, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 6 août 2014
DUREE : 1h29
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Lucy est une jeune femme vivant à Taipei, dans un monde où l’homme n’utilise que 10% des capacités de son cerveau. Prise dans un guet-apens par la mafia taïwanaise, elle est contrainte de faire la « mule » pour des trafiquants de drogue, mais à la suite d’un accident, elle absorbe une partie de la substance expérimentale qu’elle transporte. Cela décuple ses facultés physiques et psychiques…

Lucy. Un seul prénom, mille connexions possibles. D’abord la plus évidente, assumée au détour d’un dialogue en début de métrage : la première femme de l’histoire de l’humanité, ce qui semble plutôt gonflé pour un clin d’œil. Ensuite celle qui s’impose dès l’entrée en matière de l’intrigue : une jeune étudiante sexy qui, par un tragique concours de circonstances, devient le cobaye involontaire d’un surprenant processus d’évolution : d’abord réduite au statut de colissimo en débardeur (elle doit transporter une drogue expérimentale cachée dans son abdomen), la belle se mue vite en super-héroïne invincible (ses capacités cérébrales ne cessent d’augmenter) pour finir par s’incarner en clé USB version 4G, réceptacle d’un éventail quasi infini de savoirs et de sensations. Drôle d’idée de scénario, à peine originale dans la mesure où le récent Limitless en avait exploré (très mal) le concept, mais qui, entre les mains de Luc Besson, acquiert le plus surprenant des reliefs. Savoir que Lucy était un projet vieux de dix ans pour le cinéaste ne trompe pas sur l’ambition affichée à l’écran : un sujet très axé sur la science (le cerveau et ses limites) sur lequel la documentation était de rigueur autant que la passion (Besson est l’un des membres fondateurs de l’ICM), une intrigue centrée autour d’une utopie scientifique (l’être humain n’utiliserait que 10% de ses capacités cérébrales : d’après les rumeurs, ce serait faux, mais qu’importe…) et la promesse d’un divertissement fun où la manière forte ne viendrait jamais empiéter sur la matière grise. L’idée était alléchante, mais avec Luc Besson aux commandes, que pouvait-elle engendrer comme résultat ?

On va faire bref : hormis un personnage de femme forte et une poursuite dans les rues de Paris qui nous file un délicieux vertige, bon courage pour tenter de retrouver ici ce qui constitue hélas depuis plusieurs années la « patte Besson », à savoir du bourrinage décomplexé en cascade, du découpage surspeedé commis par un monteur sous taurine, du rap de supérette en guise de bande-son et des clichés sur pattes à la limite du dérapage xénophobe. Les caractéristiques les plus gonflantes du produit labellisé EuropaCorp et scénarisé Luc-La-Main-Froide n’ont plus lieu d’être dans Lucy, et ce n’est pas plus mal. Comme pris d’une soudaine envie de voir les choses en grand, Luc Besson a enfin rangé ses lourdeurs scénaristiques dans le plus bas tiroir de sa commode pour renaître en chantre d’un divertissement à la fois ambitieux et barré, tel qu’on ne l’avait plus vu depuis Le cinquième élément. Et comme le supposait déjà le titre, toute la réussite du film se filtre au travers du fonctionnement interne de son protagoniste central, lequel confère un nouveau relief à cette figure désormais qualifiée de « héroïne bessonienne ».

Pour faire simple, de Nikita à Jeanne d’Arc en passant par Matilda et Leeloo, le parcours d’une héroïne chez Luc Besson obéit toujours à trois règles : 1) acquérir un relief et une maturité qui transcende un tempérament initial de femme-enfant, 2) conquérir son propre territoire à travers un tempérament de lutteuse et/ou de fonceuse, 3) présenter des attributs physiques à la fois généreux et inattendus. Déjà, la troisième règle fiche le camp : nouvelle venue dans la galaxie Besson, Scarlett Johansson est ici moins exploitée visuellement pour sa plastique que pour son potentiel mutant, déjà révélé au grand jour cette année dans Her (où elle n’avait pas de corps) et Under the skin (où elle jouait un extraterrestre ayant investi le corps d’une humaine). Mais sur les deux premières règles, il y a de la nouveauté : ici, plus question d’exploiter les aptitudes obtenues à des fins personnelles (qui plus est avec la présence d’un mentor pour jouer le rôle du régulateur), mais tenter au contraire de faire l’éloge du partage de connaissances (d’où le personnage d’expert du cerveau joué par Morgan Freeman), quitte à ce que l’enjeu sacrificiel vienne au final s’inviter dans l’équation. En cela, on peut rapprocher Lucy de Leeloo, toutes deux dotées de capacités surhumaines et lancées sur une voie de connaissance visant à remettre l’humanité dans la bonne voie. A chacune son cerveau boosté, riche d’étendre son potentiel vers un horizon indéfini.

Certes, sur le fond, mieux vaut ne pas s’attendre à voir Luc Besson chercher ouvertement à tutoyer le vertige métaphysique d’un Kubrick. Néanmoins, chaque crainte se voit ici effacée par une esquive malicieuse. Par exemple, si le film joue parfois la carte de l’illustration schématique (il suffit de voir cette mise en parallèle en intro des réflexes humains et animaux), jamais le scénario ne vire au gloubi-boulga philosophique où les termes compliqués se mêleraient aux théories supra-fumeuses. C’est que Besson, plus que désireux de laisser parler son imagination et de privilégier la lisibilité de l’image, utilise sans cesse son découpage pour stimuler son audience. La jouissance procurée par Lucy doit tout à un montage extrêmement malin, tour à tour accéléré et décéléré, usant en permanence des inégalités de rythme et des juxtapositions de scènes a priori déconnectées les unes des autres pour relancer les dès de son intrigue. De là résident ces nombreux entrecoupements de séquences purement narratives (en majeure partie des décharges d’adrénaline finement calculées) avec des instants plus posés, qu’il soit plus propices à la réflexion ou à la beauté graphique : on notera surtout des cours en amphithéâtre sur l’évolution du cerveau, quelques images globe-trotter piochées chez les copains (Samsara de Ron Fricke, Home de Yann Arthus-Bertrand, etc…), sans parler d’une info précise sur la supériorité cérébrale des dauphins (clin d’œil évident à la passion d’enfance du cinéaste) ou des rayons matrixiens illustrant les liens électromagnétiques qui inondent l’environnement humain.

Et lorsque Besson laisse son héroïne repousser ses propres limites en remontant le temps jusqu’aux origines du cosmos, faisant au passage se confronter les deux Lucy (la vraie et celle du film) dans un même plan, le film repousse ses propres limites en matière d’effets et de visuels, comme mû par le désir casse-gueule de compresser son rythme et sa vitesse au sein des traversées déchronologiques qui se déroulent sous nos yeux. On se rend compte a posteriori que les scènes d’action, surtout celles où Lucy déchaîne ses pouvoirs (ici des hommes collés au plafond comme des pantins désarticulés, là des voitures explosées en plein Paris), formaient pour le film une suite d’étapes à atteindre dans sa gourmandise graphique, à l’image des cellules d’un organisme en plein bouillonnement intérieur. Ainsi va Lucy, film-cerveau chimique sans prise de tête, organisme autonome calqué sur le schéma interne de son héroïne (en gros, toujours « plus ») et épaulé en cela par des phases plus reposées qui laissent l’esprit prendre du recul sur les choses. Mais surtout opus du renouveau pour Besson, où Luc fait de Lucy l’incarnation d’un aboutissement personnel : celui d’un énième personnage d’héroïne en transformation qu’il amène finalement à son stade terminal, sous couvert d’une drogue expérimentale (un cinéma sans limites pour lui, des cristaux bleus pour elle) qu’ils ingurgitent de façon réciproque. Et cette came-là, en tout cas, c’est de la pure.

guillaume gas

source :

http://www.courte-focale.fr/cinema/critiques/lucy-luc-besson-2014/

 

À la fin des 89 minutes de Lucy, on a du mal à dire si c’était long ou divertissant. Ou un long divertissement.

Lucy, étudiante américaine à Taïwan, est forcée par un de ses amis de livrer une valise suspecte à « Mr Jang ». En quelques minutes, les choses basculent et elle se retrouve contrainte de transporter dans ses intestins un sachet de CPH4, une nouvelle drogue destinée au marché occidental. Alors qu’elle se fait battre par un homme de main de Jang, la poche de drogue s’ouvre et se répand dans son organisme. Ses capacités cérébrales se développent et semblent repousser toutes les limites…

Ceci n’est pas un documentaire

« J’ai travaillé sur l’aspect scientifique pendant plusieurs années avant même de penser à au script. Je veux d’abord avoir la connaissance. Je veux savoir de quoi je parle en premier lieu. » (Luc Besson, interviewé par William Bibbiani)

Le pitch de Lucy repose sur un théorème expliqué dans le film par le professeur Norman (Morgan Freeman) : « on estime que la plupart des humains n’utilisent que 10% de leurs capacités cérébrales. Imaginez si nous pouvions atteindre 100%. Ça commencerait à devenir intéressant. » Or, si Besson a passé plusieurs années à se renseigner avant de se lancer dans le scénario, le résultat reste plus grand public que scientifique.

La théorie des 10% est aussi séduisante qu’irréelle. Dans un article de 2012, la journaliste anglaise Claudia Hammond a mené son enquête : de nombreux éléments infirment le mythe.

– Un scan montre que le simple fait de fermer ou d’ouvrir une main mobilise notre cerveau au-delà de 10%. De fait, outre les gestes conscients, notre cerveau gère également toute une série de paramètres liées aux fonctions vitales (respiration, battements du cœur, etc.).

– « Use it or lose it » est le crédo de notre encéphale : les cellules inutilisées par notre cerveau doivent être employées d’une autre manière ou disparaître. La théorie des 10% signifierait donc que plutôt que de se mettre en mode « veille prolongée », nos capacités cérébrales s’évanouiraient à jamais. De quoi écrire un film catastrophe en contrepoint à Lucy.

– Enfin, notre cerveau monopolise jusqu’à 20% de nos ressources corporelles. Si un organe brûlant autant d’énergie ne nous offrait qu’un dixième de rendement, ce serait à tout point de vue un ratio contreproductif.

Le mythe de la sous-utilisation de notre cerveau est évoqué au début du XXème siècle par le psychologue anglais William James ; selon lui nous n’utiliserions qu’une partie de nos capacités mentales et physiques. Son postulat, très imprécis, sera repris et monté en épingle. Mais comme il existe un mythe dans le mythe – une sorte de tur-turkey-key de la légende urbaine –, on attribue souvent la parenté de cette théorie des 10% à Albert Einstein. Or, rien de tel n’a jamais été prouvé.

En définitive, jusqu’à preuve du contraire, nous utilisons 100% de notre cerveau. Les connections entre les cellules peuvent augmenter, certaines cellules inutilisées ou endommagées disparaître, mais rien de plus. Aucune pilule bleue (CPH4), transparente (le NZT dans Limitless de Neil Burger) ou rouge (ah non, ça c’est Alice et Matrix), ne nous permettra de décupler nos capacités intellectuelles. À ce stade, il est peut-être mieux d’en revenir à Besson: « Après, je ne veux pas faire un documentaire sur les capacités cérébrales ». C’était bien la peine de faire plusieurs années de recherches.

Une première partie réussie

« Je voulais faire quelque chose de divertissant, un thriller » (Luc Besson).

Dans ce cas, « on disait que », et on embarque dans la théorie des 10%. La première demi-heure du film, proche du thriller d’anticipation, est bien menée même si très découpée, puisque diverses séquences s’entrecroisent. D’une part, il y a le professeur Norman. Le gentil scientifique à la Père Castor livre une conférence où il expose ses théories sur l’intelligence humaine et le but de l’humanité. D’autre part, il y a Lucy, obligée d’en découdre avec une mafia coréenne qui ne parle que coréen (pas pratique pour le business international). Au milieu de tout cela, s’intercalent des images de mitose cellulaire et de documentaires animaliers.

Cette première partie est divertissante, car elle plante le décor de façon décomplexée. On voit ainsi Mr Jang, joué par l’acteur sud-coréen Choi Min-sik (Old boy, I saw the devil), se laver les mains à l’eau de source au milieu de sa suite après avoir tué des quidams. Il y a aussi cette scène géniale où le médecin de Jang, pimpant et enthousiaste, brieffe les mules sur leur mission comme si elles partaient en excursion.

Cependant, à mesure que le film avance, il perd son humour au profit d’un sérieux mis à mal par de nombreuses incohérences. Par exemple, si cette drogue rend si intelligent, pourquoi personne autour de Lucy ne pense à en prendre ? Si Lucy peut tout contrôler, son apparence, le temps, l’espace, etc., pourquoi diable s’embête-t-elle encore à prendre l’avion ou à slalomer entre les voitures dans Paris ? La télétransportation serait quand même plus pratique. On n’entendra pas non plus les progrès de Scarlett en français (ndlr : Scarlett Johansson est fiancée au Français Romain Dauriac et a vécu quelques mois à Paris), car malgré tous ces cristaux bleus, Lucy continue à ne parler qu’en anglais.

AAA : Actrice. Action ? Amour ?

Question interprétation, Scarlett Johansson passe toujours aussi bien à l’écran et ce, malgré un jeu mono-expressif pendant les trois quarts du film. La déshumanisation de Lucy est en effet inversement proportionnelle à la croissance de son intelligence. (Ce qui soit dit en passant nie la théorie des intelligences multiples.) Pourtant, Johansson réussit à insuffler un peu d’âme (et de notoriété) à son personnage dont toute conscience ou conflit intérieur est avorté après l’atteinte de 20% de taux d’utilisation de son cerveau.

Le film est mi-figue mi-raisin quant aux scènes d’action : ça bouge, ça tire, ça crie… alors que Johansson ne réalise aucune prouesse physique. Lucy ne se transforme ni en V (for Vendetta) ni en impitoyable guerrière. Sa plus importante scène de combat consiste à marcher langoureusement en petite robe et Louboutins en faisant quelques mouvements de main.

Enfin, côté romance, il n’y a rien à attendre d’un film centré sur un personnage qui se transforme en machine intelligente. À côté de Lucy, il y a bien le policier Pierre Del Rio, incarné par l’acteur égyptien Amr Waked, mais face à l’héroïne bessonienne, puissante par définition, il est réduit à un faire-valoir. Entre ces deux personnages n’existera qu’une fausse tension sexuelle résumée dans un risible et trop rapide baiser. Del Rio ne s’en sort pas mieux professionnellement: il est à la tête d’une police française dépassée qui, depuis Taxi, semble toujours aussi mal préparée aux courses-poursuites et fusillades.

Métaphysique, philosophie, histoire du genre humain.

« Et ensuite j’ai commencé à me demander : peut-on faire un thriller avec du contenu philosophique ? Est-ce possible ? Essayons. Essayons de faire les deux. On peut avoir l’un ou l’autre, mais qu’en est-il de faire un film où il y a les deux ? C’est mon but. » (Luc Besson)

Plus l’histoire avance, et plus on se demande où l’on va. Il y a ce moment charnière où Lucy contacte le professeur Norman et lui demande ce qu’elle doit faire de toute cette intelligence. Là, on s’interroge : Besson n’est-il pas en train de se demander ce qu’il doit faire de son film ? Du thriller de façade il verse dans une démonstration métaphysique visuelle. Or Besson troque la réflexion philosophique contre les effets spéciaux. En juin 2012, Christophe Lambert, directeur général d’EuropaCorp, a déclaré que Lucy capitalisait le budget le plus élevé de toute l’histoire de la société. Heureusement, au cas où l’on s’en inquiéterait, au vu des premiers chiffres du box-office, Besson a déjà bien rentabilisé son long-métrage.

Quelques questions philosophiques émergent çà et là dans le film : quel est le but de l’humanité ? Qu’est-ce que l’intelligence ? Toutefois les réponses sont bancales et d’une simplicité atterrante, d’autant qu’elles proviennent d’une créature qui tient finalement plus de l’ordinateur que de l’humain. Sur la fin, le long-métrage vire en une animation colorée sur l’apparition de la vie sur terre. Lucy voyage à travers le temps et l’espace et sont ainsi passés au blender Paris, New-York, Jurassic Park, Yakari et La création d’Adam de Michel-Ange version « Quand Lucy rencontre Lucy ». Sans oublier quelques scènes de fusillades, car il faut bien mener jusqu’au bout le « thriller » dans lequel on s’était engagé. Et…PAF ! Besson nous sort une fin minimaliste pas plus consistante qu’un Chocapic.

Malgré ses prétentions scientifico-philosophiques, Lucy pose un dilemme : ou on accepte l’incohérence et la superficialité du film ou on y résiste. Mais quel choix ironique pour un film traitant de l’évolution et de l’intelligence humaine.

source :
http://www.lesuricate.org/lucy-luc-besson/

 

Lucy de Luc Besson : une promotion de la drogue fardée en conte philosophique

Ce film n’est pas seulement une claire apologie de la drogue. Il exprime une conception de l’être humain perfectible par le calcul et le forçage, bref par la violence.

Se droguer à fond ne transforme pas toujours en zombi ou en cadavre. Il est possible de voyager dans le temps, dans l’espace, créer, détruire, tout savoir, tout pouvoir, être partout (« I’m everywhere » dit-elle à la fin), bref être semblable à un dieu (ou à dieu lui-même, réputé pour son ubiquité, son omnipotence et son omniscience). Le tout est de consommer un bon kilo d’un « bon » produit, en l’occurrence une substance analogue à celle produite par la femme enceinte pour le fœtus. Tel est l’argument chétif et embryonnaire de cette promotion rigolarde de la drogue.

L’usage professionnel de la cocaïne est connu : augmentation présumée de l’énergie, de la créativité, effacement de la fatigue (silence sur les troubles négatifs engendrés par ce genre de substance que le capitalisme adore : les oisifs jeunes ne pensent pas à faire de politique quand ils sont drogués et les travailleurs drogués, dopés, accroissent leur productivité sans surcoût pour l’employeur). Cette insipide pitrerie filmique reprend et amplifie à l’extrême ce mythe contemporain de la drogue augmentatrice. Les effets secondaires sont évoqués : l’héroïne (Lucy) se décompose dans l’avion ; mais le retour à la « normale » passe par plus de drogue encore !

Promouvoir la drogue pour se transformer plutôt que l’effort, le travail ou la patience, recouvre une conception artificialiste de l’homme. L’être humain serait perfectible mais seulement par l’usage de toutes les facultés du cerveau. Rien de collectif n’est envisagé. La drogue est censée faciliter, par une sorte de forçage brutal, la conquête de nouvelles connaissances. Règne ici le modèle de la surexcitation : l’accroissement ou l’intensification sont les moyens d’une expansion d’être appuyée sur des techniques (la drogue est un produit technique, même si la molécule est donnée dans la nature).

« Être humain, tu es si imparfait que l’effort de te perfectionner est infini. Toute technique doit t’accroître parce que tu es si petit. La drogue, les ordinateurs, les machines, les marchandises de tous types, tout cela doit t’agrandir parce que tu si mince. Sans ces machines (chimique ou technique), tu n’existerais pas. Elles te font exister parce que tu es nul ». Tel est le message implicite diffusé par ce film plutôt toxique (pour la santé mentale).

Certains signes militent en faveur d’une plaisanterie : l’allusion à Adam créé par le dieu que Michel-Ange peignit au plafond de la Sixtine, le scénario rythmé par l’accroissement du pourcentage des facultés cérébrales, des gags de comédie assez classiques, la pauvreté du message philosophique (la vie doit être protégée et la connaissance transmise), la bombe atomique invention utile, l’idée que l’émotion et la connaissance seraient contradictoires, etc. Ces éléments, certes risibles, élèvent un rideau de fumée capable d’améliorer la perméabilité des spectateurs au message.

Ozon avait signé une habile promotion de la prostitution[2] (Jeune et jolie). Luc Besson s’aligne pour les drogues, engins de mort travestis en machins théologiques. À quand un film vantant les mérites du viol ?

Jean-Jacques Delfour

source :
http://www.jeanjacquesdelfour.fr/article-lucy-de-luc-besson-une-promotion-de-la-drogue-fardee-en-conte-philosophique-124497468.html*

 

Lucy, de Luc Besson : regards croisés avec une neuropsychologue

 

Le dernier film de Luc Besson me faisait de l’œil pour plusieurs raisons.
 
D’abord, c’est un film de Besson. Les films de Besson ne laissent pas souvent indifférent, qu’on les adore ou qu’on les déteste.
 Ensuite, le cerveau et ses mystères sont une source de potentialités artistiques et d’interrogations tant scientifiques que philosophiques… un film sur ce thème ne pouvait que m’attirer.
 Et puis ce thème était assez proche de ce que j’avais envisagé au tout début du développement du scénario du Choix des Anges, avec l’idée de la drogue qui décuplerait les fonctions cérébrales d’un être humain pour le conduire aux portes de la divinité.
 Enfin, je me demandais comment le cinéma pouvait s’emparer d’un tel sujet. Comment montrer quelque chose d’aussi complexe, en même temps qu’en faire un spectacle ?
 Bref, je suis allé le voir.
 
Le pitch : Lucy in the sky with diamonds
 
Jeune étudiante sans le sou à Taïwan, Lucy (Scarlett Johansson) fait les frais d’une mauvaise rencontre en boîte de nuit. Son amant du moment l’utilise pour livrer à un puissant baron du crime coréen une mallette contenant quatre sachets d’une drogue expérimentale issue d’une hormone naturelle synthétisée par les femmes pendant la grossesse.
 L’échange ne se passe bien évidemment pas aussi bien que son petit-ami le lui avait promis, et elle se retrouve, après un accident, avec une très grosse quantité de cette drogue aux effets dévastateurs dans le sang.
 Loin de la tuer comme cela aurait dû se passer, la drogue s’intègre à son organisme en lui permettant de développer ses capacités cérébrales au-delà des fameux 10 % que nous serions capables d’utiliser.
 Elle devient alors surhumaine et se lance dans une quête pour récupérer les trois autres sachets, tout en découvrant que son potentiel cognitif grimpe peu à peu de 20 jusqu’à 100 % à la toute fin du film.
 Au cours de cette quête, elle croise le chemin de deux hommes.
 L’un (Morgan Freeman) est un chercheur renommé développant depuis 20 ans la thèse selon laquelle les êtres humains n’exploitent que 10 % de leur potentiel cérébral. Il sera le « guide spirituel » de Lucy dans son évolution.
 Le deuxième est un flic français très banal qu’elle aura choisi comme compagnon afin de « se souvenir » de ce que c’est d’être un humain.
 
 
La forme : Les diamants sont éternels
 
De ce côté-là, Lucy est véritablement un film de Besson.
 Il y a des images magnifiques, époustouflantes même. Des moments de poésie pure. Une maîtrise des « images dans les images » (les reflets dans l’œil de Lucy). Une bande-son choisie à merveille pour coller aux scènes.
 Le jeu des acteurs va du crédible (Scarlett Johansson) au pas vraiment nouveau (Morgan Freeman, qui hélas est toujours utilisé depuis quelques années dans le même genre de rôle, et dont on a maintenant plus l’impression qu’il joue Morgan Freeman jouant un personnage que son personnage lui-même), en passant par le bêtement caricatural (Min-sik Choi, le parrain de la drogue sortit tout droit d’un manga), ou le très bêtement faire-valoir (Amr Waked, le flic dont on se demande vraiment à quoi il sert dans ce scénario).
 La réalisation est impeccable dans sa progression.
 J’ai particulièrement adoré au début les scènes entremêlées entre les prédateurs et les proies dans la savane africaine et l’enchaînement de circonstances qui va amener Lucy jusqu’à son destin.
 
Les références artistiques et l’univers de Lucy
 
On reconnaît au premier coup d’œil la patte de l’univers de Besson : l’héroïne surhumaine fait écho à Nikita, Leeloo (Le Cinquième Élément), ou Jeanne d’Arc. Elle est toujours accompagnée d’un homme protecteur qui ne sert pas toujours à la protéger vraiment : Corben Dallas (Bruce Willis) dans le Cinquième Élément, Léon (Jean Reno) dans Léon avec Natalie Portman, Victor (Jean Reno encore) dans Nikita.
 
Mais le thème est aussi un thème très souvent exploité en science-fiction.
 Franck Herbert en a fait l’archétype des Révérendes Mères du Bene Gesserit, capables de contrôler leur propre physiologie (au point de contrôler leur fécondité et même le sexe de leur enfant à naître) dans sa saga Dune.
 Pierre Bordage utilisa une héroïne capable de prodiges assez semblables dans Les Guerriers du Silence.
 J’ai moi-même donné de tels pouvoirs à mon héroïne dans Poker d’Étoiles et Armand, le héros du Choix des Anges, y accède lui aussi.

 Dune, de Frank Herbert Les Guerriers du Silence de Pierre Bordage

Le fond : tout ce qui brille n’est pas d’or
 
C’est en fait un mythe universel que « l’homme augmenté », celui ou celle qui devient surhumain et en se libérant des chaînes qui limitent l’Homme accède à une compréhension plus large de l’univers.
 Même les philosophies orientales comme le bouddhisme ou le taoïsme rejoignent cet idéal.
 Et au final l’idée occidentale de progrès participe du même mouvement.
 C’est le désir profond de l’Homme de comprendre et maîtriser la Nature ou d’en faire partie pour ne plus la subir.
 
J’ai d’ailleurs trouvé que le film n’exploitait pas vraiment tout son potentiel, lui non plus (10 % seulement ?).
 Par exemple, dans son exposé, le personnage de Morgan Freeman explique que si un être humain utilisait 20 % de son potentiel cérébral, il serait capable de contrôler sa propre physiologie (référence aux Bene Gesserit de Dune). Mais jamais on ne voit Lucy véritablement contrôler son corps. La douleur lorsqu’on lui enlève le sachet de son abdomen, à la rigueur, mais il n’est pas besoin d’être surhumain pour entrer en transe hypnotique et anesthésier une partie du corps. Des interventions chirurgicales ont lieu tous les jours avec ce genre de technique… J’aurais plutôt vu des images montrant que Lucy maîtrise son flux sanguin, sa température, sa croissance cellulaire, ses organes d’une façon consciente. Elle pourrait très facilement métaboliser un poison, synthétiser des molécules particulières, voire diriger des processus de cicatrisation. Rien de tout cela en images alors que Besson s’attarde très longuement sur d’autres choses comme la mémoire. Mais là encore j’aurais attendu de lui, pour rester dans le style qu’il impose dès le début du film, de ne pas rester seulement sur le visage ô combien « cinégénique » et émotionnellement fort de Scarlett Johansson, mais de montrer des images de sa mémoire. C’est un procédé classique que le flash-back, me répondra-t-on. Oui, mais je suis sûr qu’il aurait pu trouver à l’exploiter autrement. Il s’agit tout de même d’un réalisateur dont les films ont souvent été visuellement novateurs.
 
Et surtout, je trouve que Lucy n’a pas évité de tomber dans certains poncifs.
 
En effet, souvent, ces visions d’extrahumanité sont stéréotypées et assez décevantes sur un point commun que j’ai toujours trouvé frustrant. Il semblerait que pour tout le monde, l’accroissement de la conscience, ou du moins l’accroissement des capacités cognitives se fasse au détriment des émotions.
 On aurait donc à faire avec des êtres détachés de l’Humanité tant ils comprennent Le Grand Tout.
 Ainsi, Lucy à qui il faut le faire-valoir du flic Pierre Del Rio pour se souvenir de ce que c’est que d’être humain, mais sans émotion véritable, juste par stratégie froide. Si froide qu’elle est capable de tuer sans aucun problème (un autre fantasme de Besson que cette Nikita nouvelle génération ?). La seule scène où les émotions sont exprimées après sa transformation : sur la table d’opération, Lucy appelle sa mère au téléphone. C’est intense… mais c’est très court et elle vient d’abattre au moins cinq personnes auparavant… pour en abattre dix fois plus ensuite. Sans sourciller.
 
Or, il se trouve que j’avais à mes côtés (puisque c’est mon épouse) une personne capable de me répondre là-dessus, car le fonctionnement cognitif est en quelque sorte son métier.
 Ce regard croisé m’a semblé particulièrement fructueux dans la réflexion que l’on pouvait tirer du film. Je lui ai donc demandé de me donner sa vision de psychologue spécialisée en neuropsychologie sur ce point :
 


Sandrine Rappenecker :
 
J’étais curieuse de découvrir le film de Luc Besson, Lucy, dont le thème m’intéressait particulièrement.
 
Pourquoi lorsqu’il est question d’évolution des capacités cérébrales de l’être humain n’est-il jamais question d’un développement, d’une meilleure exploitation de notre intelligence socioémotionnelle ?
 
Or l’être humain n’est-il pas un animal social c’est-à-dire qui vit en société ? Les êtres humains se sont toujours organisés en groupe, car leur survie en dépendait.
 
Alors si l’exploitation maximale de nos capacités cérébrales, comme c’est le cas du personnage de Lucy, nous conduisait à ne plus ressentir d’émotions et à n’être que pure connaissance cela n’impliquerait-il pas une extinction de notre espèce sociale ? Comment envisager notre organisation humaine dépourvue de notre système limbique, « cerveau des émotions » ? Et si tel était le cas, cela n’amènerait-il donc pas à une disparition de la notion de plaisir : manger de bons petits plats, déguster un bon vin, se retrouver entre amis ou encore faire l’amour ?
 
Dans cette perspective de contrôle total de l’esprit sur notre propre métabolisme conjugué à l’absence d’émotion et de recherche de plaisir en raison d’un niveau de conscience supérieure, quel serait en effet l’intérêt d’entretenir des rapports les uns avec les autres ? Nous n’aurions besoin que de prendre des gélules pour répondre à nos besoins vitaux, nous trouverions certainement un autre moyen de nous reproduire et perpétuer l’espèce par des méthodes de conception ex vivo comme dans Matrix ?
 
Doit-on comprendre que l’augmentation de notre potentiel cérébral nous permettrait de développer uniquement nos compétences cognitives (mémoire, attention, raisonnement logique) et que cela s’accompagnerait obligatoirement d’une disparition de nos émotions et sentiments ? Est-ce là la vraie évolution de l’Homme, la seule solution pour notre salut et cesser nos comportements d’autodestruction si prégnants dans notre Espèce ?
 
La définition la plus commune de l’intelligence ne repose bien souvent que sur les aspects intellectuels (ou cognitifs) c’est-à-dire la mémoire, l’attention, le raisonnement logique, le langage. La preuve en est que lorsqu’on va chez un psychologue, spécialisé dans ce domaine, car tous ne le sont pas, pour une demande d’évaluation de Quotient Intellectuel (QI) ce dernier est principalement exploré au moyen d’une échelle d’intelligence standardisée. La plupart des professionnels de la santé et de l’enseignement réduisent malheureusement souvent le potentiel intellectuel à ce résultat de QI ce qui relève d’une aberration totale tant d’un point de vue statistique, que théorique ou psychologique. Cette vision de l’intelligence est extrêmement réductrice. Des chercheurs (Gardner, 2000 ; Sternberg, 1988, 1999) étendent le concept d’intelligence aux domaines artistique, sportif, créatif ou encore socioémotionnel. Il n’est pas rare d’observer une « intelligence » dite normale ou « supérieure à la moyenne », mais non fonctionnelle dans la mesure où la personne n’est pas en mesure de l’exploiter correctement pour diverses raisons. Les lésions entraînant des perturbations de la gestion des émotions entravent, entre autres, la prise de décision et donc l’utilisation correcte de ce que l’on nomme, dans l’imaginaire collectif, l’intelligence (Damasio, 1994, L’Erreur de Descartes). Donc si une Lucy existait vraiment, pourquoi ses émotions s’éteindraient-elles parallèlement au développement de son intellect pur au lieu, au contraire de suivre la même évolution ? Car il existe des circuits émotionnels dans le cerveau et leur bon fonctionnement est indispensable à une utilisation optimale de nos ressources.
 
Ainsi, si science sans conscience n’est que ruine de l’âme alors peut-être qu’intelligence sans émotion n’est que ruine de l’esprit… et de l’Humain.
 
Et si l’exploitation de nos capacités cérébrales au-delà de ce fameux 10 %, si tant est que cette valeur soit exacte d’un point de vue scientifique, nous permettait au contraire de développer notre intelligence émotionnelle et notre intelligence cognitive ? Que se passerait-il ?
 
Ne serait-ce pas là la vraie définition de l’Intelligence ? Ne serait-ce pas là que résiderait notre réelle différence en tant qu’humains ?
 
Je choisis la voie du Cinquième Élément…

 
Une autre vision de la Conscience suprême, qu’il serait intéressant de développer à la fois dans la pensée métaphysique, mais aussi dans le domaine artistique…


source :
http://decaille-deplume.fr/lucy-luc-besson-regards-croises-neuropsychologue/

"Lucy" (Luc Besson)
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