D’abord ils sont venus…
Le propos est simple, on serait tenté de dire : presque biblique n’était le sujet abordé. En une dizaine de pages, Matin brun, dont le titre fait écho, entre autres, aux chemises brunes portées par les nazis dans les années 1930, présente l’histoire de Charlie et de son ami, deux hommes quelconques au physique indéterminé qui coulent des jours heureux sans se poser de questions sur le sens de leur existence. Mais leur pays doit soudain fait face à la montée d'un nouveau régime politique extrême : l'Etat brun.
Ce dernier commence alors par interdire les chats qui ne sont pas bruns, prétextant une surpopulation illustrée par des données scientifiques, pour peu après étendre cette règle aux chiens également. Malgré leur tristesse, Charlie et son ami ne résistent pas à cette nouvelle mesure nationale et se résignent chacun à tuer leur animal de compagnie. L’engrenage est amorcé et sera sans retour : c’est ensuite le quotidien de la ville qui ne peut plus être publié car il s'oppose au renouveau du pays (un journal dernier-né : "Nouvelles brunes " le remplacera avantageusement). Puis, pour des raisons obscures, ce sont les livres qui sont bientôt enlevés des bibliothèques.
La règle de la « brunite » généralisée s’intensifie encore et désormais tout ceux qui ont par le passé ont possédé un animal non brun doivent être arrêtés. Charlie et le narrateur, dénoncés par leur entourage, n’échapperont pas à la règle.
Cette courte description de l’implacable mis en place d’un régime totalitaire - facilitée par la soumission et le manque d’esprit critique des hommes – qui a été publiée à l’origine en 1998 (et traduite dans plus de 25 pays) est mise ici, avec un travail intéressant sur la typographie du texte, en contrepoint des œuvres à fort impact visuel du pochoiriste de Vitry-sur-Seine, C215.
Longtemps avant le Indignez-vous ! de Hessel, voici une fable sociale intemporelle aux allures de 1984 et de Farenheit 451 qui rappelle combien dans l’Histoire les petites discriminations consenties font les grands idéologies liberticides. Et le lecteur vigilant de se souvenir du poème D'abord ils sont venus écrit dans le camp de concentration de Dachau par le Pasteur Martin Niemöller, théologien et Président des Eglises Réformées de Hesse-Nassau, interné politique de 1938 à 1945 :
D'abord ils sont venus chercher les Communistes
Et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas communiste
D'abord ils sont venus chercher les Socialistes
Et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas Socialiste
D'abord ils sont venus chercher les Syndicalistes
Et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas Syndicaliste
D'abord ils sont venus chercher les Juifs
Et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas juif
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne
Pour me défendre.
frederic grolleau
Franck Pavloff, Matin brun, œuvres de C215, Editions Albin Michel, octobre 2014, - 12,50 €.
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